Que l’on soit entraîneur débutant ou expérimenté, l’observation des matchs du weekend représente une source d’inspiration en continue pour se construire une identité footballistique qui nous correspond. Sur ce site, comme l’illustre ce plaidoyer à relire à tout instant, nous souhaitons décrypter le travail des entraîneurs « protagonistes », créatifs, afin d’aider le passionné à affiner sa vision du football. A l’image de l’Art où l’on dit souvent que « les grands peintres prennent le temps d’observer les grands maîtres » il s’agit de mettre en lumière des séquences tactiques clées, des idées forces proposées par des entraîneurs professionnels et souvent associées au protagonisme. Après l’exemple du pressing selon l’Atalanta, arrêtons nous quelques instants sur la mise en place travaillée par Roberto de Zerbi pour réussir à sortir le ballon au sol sous la pression adverse sans dégager n’importe comment. Tuto.
RAPPEL PERPETUEL : QU’EST CE QUE LE FOOTBALL PROTAGONISTE ?
En premier lieu, pour répondre à nos objectifs, un retour sur le sens des mots à travers quelques définitions s’imposent. Le football dit « protagoniste » doit être compris comme une vision globale du jeu où l’entraîneur souhaite dépasser l’analyse par le prisme unique du résultat. Comme le répète Marcelo Bielsa : « quand la productivité du résultat est l’argument unique, l’opinion perd de l’importance (…) nous n’aurions ainsi plus besoin de conférence de presse car il n’y aurait plus aucun sujet sur lesquels parler. » Dans le monde impitoyable du football professionnel, le coach « protagoniste » n’est pas forcément meilleur qu’un autre, il ne détient pas « la vérité » mais il est fondamentalement plus courageux car il souhaite la victoire sans dénigrer la manière. Ainsi, l’entraîneur protagoniste s’inflige une difficulté supplémentaire : celle d’apporter une émotion particulière à travers le jeu pratiqué. En cela, le coach qui défend un football construit souhaite d’abord être jugé sur ses intentions créatives, sur les capacités de ses joueurs à proposer un football harmonieux, risqué où la créativité collective peut être sublimée afin de ravir tout autant le supporter que l’observateur « neutre ».
En bref, parler de « beau-jeu » est une erreur, car c’est s’enfermer soi-même dans le débat sans fin de la « subjectivité du beau ». Parlons plutôt de « football construit », qui passe par une domination du territoire et du cuir fondé sur la technique et l’intelligence laissant comprendre au spectateur que la victoire peut être méritée. En cela, ce type de football s’oppose fondamentalement à la spéculation. Marcelo pour conclure : « Quand vous n’avez pas la balle vous n’avez qu’un objectif. Est-ce que vous le connaissez cet objectif ? (…) La réponse c’est que l’équipe qui ne possède pas la balle ne se trompe pas. Voilà la vraie raison. Naturellement, le fait de jouer nécessite la bonne réalisation. Mais aujourd’hui, vous avez l’autre alternative : profiter de l’erreur. A partir de là quel est le risque ? Que le spectateur se mette à changer de sport.«
ANALYSE D’UNE PHASE DE SORTIE DE BALLE CARACTERISTIQUE DU PROTAGONISME : L’EXEMPLE DU SASSUOLO DE ROBERTO DE ZERBI CONTRE CAGLIARI
Dans cet objectif de mettre du concret sur des notions théoriques telles que le protagonisme, s’intéresser aux sorties de balle représente un dénominateur fondamental pour distinguer les entraîneurs partageant de près ou de loin cet idéal. En effet, la première option proposée, notamment au gardien, par tous les entraîneurs, est de dégager loin devant. Quels sont les avantages de cette option fréquemment choisie sur les bords du terrain du plus petit niveau départemental jusqu’aux plus haut niveau national ? Dégager le ballon dans une zone du terrain chez l’adversaire, c’est réaliser un geste technique élémentaire où les chances d’échecs sont minces. Quiconque a déjà joué au football, même dans la cour de récréation, est conscient qu’un dégagement est plus aisé techniquement qu’une passe sous pression. Ainsi, par cette action, on évite d’exposer sa première ligne techniquement et on « gagne des mètres ». De plus, si l’on possède des joueurs bons dans le domaine aérien et combatifs on peut prendre l’ascendant sur l’adversaire. Ce n’est donc absolument pas incompatible avec l’idée de « bien jouer » au football. Mais, au-delà de la réussite ou de l’échec de l’action, il n’y a presque rien qui sera retenu de ce type de comportement pour le supporter et l’observateur.
Toutefois, l’entraîneur protagoniste ne souhaite pas seulement « bien » jouer au football, il désire également créer une émotion chez le spectateur du match, une émotion liée à la difficulté technique et tactique de ce qui est proposé sur le terrain. Par ce biais, et quoi qu’il se passe dans la suite du match, le spectateur se « souvient » de l’action en question (surtout si elle est réussie), en parle à autrui, et participe ainsi au développement de son sport et à sa promotion au delà du résultat.
Le cas des sorties de balle au sol ou en jeu mi-long sous la pression, par opposition au dégagement visant à gagner des mètres est déterminant dans cette perspective. Tout joueur de football ou observateur disposant d’une minuscule expérience sait d’emblée qu’il est plus difficile dans ce sport de s’harmoniser collectivement pour garder le ballon près de ses buts sous la pression que de le dégager. De plus, il faut affronter l’idée répandue que, dans le monde professionnel, réaliser des sorties de balle depuis son gardien n’est réservée qu’à une élite de joueurs armés techniquement.
Le cas de Sassuolo mené par Roberto de Zerbi, dans laquelle aucune star ne figure permet d’aller à rebours de cette dernière idée. De plus, les partisans de ce type de football, tels que Pep Guardiola, Quique Sétien ou De Zerbi défendent l’idée qu’une sortie de balle réussie c’est presque la garantie à 100% de créer une grande occasion derrière. C’est donc juste, efficient et potentiellement efficace pour eux. Démonstration par l’exemple contre Cagliari à domicile.
(Marlon reçoit le ballon et doit faire face au bloc de Cagliari qui remonte et vient presser toutes les solutions courtes autour de lui. Il pourrait dégager le ballon mais va choisir de s’appuyer sur son gardien afin que l’ensemble de ses coéquipiers puissent se réorganiser et tenter un démarquage.)
(C’est chose faite puisque la passe en retrait permet de gagner du temps et de l’espace. Marlon et Romagna peuvent s’écarter de la pression de leur vis-à-vis qui ne les suivent plus par crainte du manque de suivi des autres joueurs du bloc sarde. Ainsi, le premier rideau de Cagliari se retrouve distendu et en infériorité numérique. La passe du gardien et la remise qui s’en suit permet d’initier un décalage.)
(Le déplacement de Locatelli vers le côté alors que Cagliari se prépare à fermer cette zone ouvre justement une porte plein axe au défenseur central : Magnanelli s’est faufilé dans l’espace ouvert par Locatelli sans qu’aucun joueur de Cagliari ne soit dans le timing pour le harceler. Marlon profite de la ligne de passe pour le servir. Derrière le numéro 4 ouvrira à l’opposé sur son latéral droit pour finaliser le décalage.)
(Derrière c’est un « simple » « passe et suit » qui permet, face à un Nainggolan hésitant, d’ouvrir totalement le bloc sarde).
(C’est un boulevard qui est désormais ouvert pour le latéral droit Toljan. Il saura conserver son temps d’avance pour distiller un centre.)
(L’action se termine par un centre en retrait parfaitement dosé qui permet à Djuricic de faire trembler les filets. Action quasi-parfaite de l’équipe de De Zerbi.)
2ème exemple :
(Récupération du ballon des joueurs de De Zerbi dans leur camp. Là encore, le premier relanceur neroverdi a l’intelligence de jouer en 1 touche pour Berardi dos au jeu.)
(Berardi a besoin d’un coup d’œil sur le temps de passe pour voir l’homme libre plein axe. Disposant d’un temps d’avance, il distribue une merveille de passe plein axe en une touche qui détruit une éventuelle volonté de pressing des Sardes.)
(Les deux premiers rideaux sont éliminés en 2 passes et c’est désormais toute l’action qui s’en retrouve facilité pour les hommes de De Zerbi : la dernière ligne de Cagliari doit défendre en reculant face à des adversaires qui arrivent lancés.)
3ème exemple :
(La fameuse sortie de balle depuis les 6 mètres. Le changement de règle a déjà modifié en profondeur le placement des premiers relanceurs dans certaines équipes. De Zerbi n’y échappe pas et demande a ses défenseurs de se proposer très bas pour attirer l’adversaire.)
(Après avoir attiré l’adversaire dans une zone, les joueurs neroverdis vont faire circuler le ballon vers l’homme libre dans un espace libre à l’opposé comme sur l’image. Ils prennent leur temps pour déplacer le bloc puisque ils vont répéter ce circuit droite à gauche et vice-versa.)
(Les Neroverdis sont presque de retour dans leur zone de départ à quelques détails près : ils ont fait courir la première ligne adverse qui commence à perdre patience et défendre vigoureusement jusqu’à se jeter. Cela laisse la possibilité au latéral de crocheter pour avancer. Il avait aussi la possibilité de servir son coéquipier plus tôt et disponible sur une ligne de passe.)
(Ce même latéral droit Kyriakopoulos conduit le ballon jusqu’à fixer trois joueurs et libérer dans le bon tempo sur un joueur en appui hors-champ. Le décalage est enclenché.)
(Caputo, le numéro 9, est correctement servi et peut orienter le jeu vers le côté opposé, totalement dégarni où Toljan va pouvoir une nouvelle fois se projeter pour créer le danger. C’est un modèle de sortie de balle collective.)
Ces séquences très travaillées sur le plan collectif sont parfois sublimées, dépassées par des exploits individuels. Cette sortie de balle emmenée par Djuricic sur le premier but des Neroverdis visible dans le début de la vidéo ci-dessous illustre aussi les qualités individuelles de certains joueurs :
https://www.youtube.com/watch?v=iyekrfdF8bU
CONCLUSION
Une nouvelle fois, le choix de Sassuolo pour cet article n’est pas anodin. Cette équipe est composée de très bons footballeurs mais d’aucune « stars ». En s’appuyant sur des cas concrets, proposés par des équipes sans stars, il devient possible de montrer que ce football visant à enthousiasmer le spectateur est accessible à (presque) tous, tout du moins dans la sphère professionnelle, vitrine de notre sport. Le protagonisme c’est d’abord un comportement, une attitude conquérante qui vise à imposer son « style » à son adversaire. Les sorties de balle propres et sans dégagement, dans l’infinité de leurs déclinaisons, restent toujours révélatrices d’une véritable « identité » collective.
Certes, cette équipe a finalement fait match nul ce weekend face à une belle équipe de Cagliari. L’équipe est 14ème de son championnat mais passionnante à regarder. Elle laisse de multiples enseignements derrière elle :
- Roberto de Zerbi, en exigeant de ses joueurs une telle attitude, une telle implication individuelle et collective, participe à leur progression, à leur éclosion ce qui ne peut être que bénéfique pour le club à plus long terme.
- Même avec des joueurs loin du niveau technique de la ligue des champions, il est possible, avec humilité, de réaliser des décalages depuis l’arrière. C’est d’abord un travail tactique énorme, sans ballon, afin de créer des supériorités positionnelles, quantitatives ou qualitatives, puis d’éxécuter des gestes techniques en harmonie les uns avec les autres. C’est avant tout une immense connaissance accumulée par l’entraîneur et dont il a su faire partager toute la substance grâce à des qualités de pédagogue hors du commun.
- Ce type de football est d’autant plus à valoriser, qu’il nécessite de convaincre les joueurs de prendre de tels risques, et ainsi de les faire passer un pallier sur le plan mental. N’oublions pas que l’échec de ces séquences entraîne une punition quasi-immédiate. C’est donc un « plongeon » réalisé et assumé collectivement.
- En proposant des séquences aussi développées malgré les écarts individuels, on fait aussi progresser son adversaire. En effet, on l’oblige à élever son niveau de jeu, mais c’est ainsi qu’on le prépare au mieux à des grands matchs à l’échelle nationale ou européenne.
- « Il n’y a pas de bons ou de mauvais entraîneurs. Il y a les entraîneurs courageux et les autres. » Cette citation de Valdano est plus que jamais pertinente dans ce contexte. Car cette tentative de proposer des sorties de balle au sol ou en jeu mi-long, fondamentalement courageuses, servent d’inspiration pour tous les entraîneurs amateurs ou semi-professionnels disposant aussi d’effectifs limités à leur échelle mais qui parfois cherchent des repères, des guides, pour affiner leur vision du football.
L’analyse d’une séquence isolée comme les sorties de balle permet encore de voir ce qui se joue à travers le football professionnel. Ce n’est pas seulement deux équipes qui courent après un score favorable. Ce sont des idées, des visions, des débats, des souvenirs, qui nourrissent la passion de chacun. Encore une fois, remercions les coachs protagonistes, à l’image de Roberto de Zerbi, car ils élèvent chaque jour le niveau de leur sport et permettent à tous les passionnés d’expliquer pourquoi le football est le plus grand jeu de tous les temps.
Source illustrations : https://www.iconsport.fr/
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