Le SC Fribourg de Christian Streich 2022/23 : comment proposer un football construit avec peu de ressources

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Christian Streich, Photo by Icon sport

Mais pourquoi donc s’intéresser au SC Fribourg ? Modeste club de Bundesliga naviguant en première partie de tableau, pas de joueurs « star », un entraîneur relativement anonyme. A priori, tout pour passer notre chemin. Mais il n’en n’est rien. Si nous avons décidé de s’arrêter quelques minutes sur le parcours de ce club en 2022/2023 c’est parce qu’il détonne dans le football moderne. Dans le football moderne, fait d’instantanéité, le SC Fribourg prend son temps. Dans le football moderne, où les entraîneurs vont et viennent en cours de saison, le SC Fribourg travaille avec Christian Streich dans la durée. Dans le football moderne, où les clubs sont vite étiquetés (« formateur », « tremplin », « locomotive ») le SC Fribourg présente plusieurs identités. Pour toutes ces raisons, mais aussi pour tout ce qui est produit par les joueurs sur le terrain, il est très intéressant de s’arrêter quelques minutes sur Christian Streich et ses hommes. Comment l’entraîneur allemand sort-il de l’ombre doucement mais sûrement ?

Vincenzo Grifo – Photo by Icon sport

N.B : en cas de première visite sur le site n’oubliez pas d’aller lire mon « idée clef », car elle est cruciale pour comprendre tout le site. Vous ne le regretterez pas.

Note au lecteur : Cette analyse s’appuie sur un échantillon de 6 matchs dont 4 qui ont pu être séquencés précisément. Ainsi, les statistiques éventuellement présentes doivent être relativisées et surtout mises en perspective sur un temps plus long. De plus, cette analyse n’a pas la prétention à l’exhaustivité. Les 4 rencontres principales sur lesquelles s’appuient l’article sont l’opposition contre Gladbach, Dortmund, Brême, l’Union Berlin. Crédits photos : iconsport.fr. Les chiffres proviennent de la plateforme whoscored.com, Opta et Fotmob.com.

ELEMENTS DE CONTEXTE

Le journaliste Polo Breitner sur Buliland.fr a bien décrit le contexte autour du club de la forêt noire et les grandes lignes de son évolution. En bref, cette équipe n’a connu que 4 entraîneurs différents en 30 ans : Volker Finke (jusqu’en 2007), Robin Dutt (de 2007 à 2011), Marcus Sorg (2011-2011) puis Christian Streich toujours présent au club au moment de l’écriture de ces ligne. Sous les ordres de monsieur Streich, le club est déjà passé par de nombreuses émotions : qualification en Ligue Europa en 2013-2014 et en 2021-2022, finale de coupe d’Allemagne perdue en 2022, descente en deuxième division en 2015 et de nouveau la possibilité de jouer une coupe d’Europe la saison prochaine, qui sait peut-être la grande Ligue des Champions ? Cette stabilité revendiquée par l’équipe dirigeante est presque unique dans le paysage du football de haut-niveau aujourd’hui. Ce qui est plus commun pour les clubs allemands, c’est la bonne santé financière des structures. Le SC Fribourg n’échappe pas à cette constante. Avec la finalisation d’un nouveau stade l’Europa Park Stadion en 2021, une très bonne gestion de son effectif et notamment des joueurs formés au club et partis briller ailleurs (exemple Schlotterbeck au Borussia Dortmund), le club voit son budget augmenter année après année profitant de l’augmentation massive des droits télévisés au passage.

Si le club est loin de disposer de la surface financière des plus grands colosses de son pays, il n’entre plus non plus dans la case du simple « club formateur ». Grâce à l’intelligence de la direction sportive, l’effectif à disposition de Christian Streich est très polymorphe : les jeunes joueurs de talent formés au club ou finissant leur formation dans celui-ci y figurent toujours : Schade, Weisshaupt, Sildillia. Ils sont entourés de joueurs majeurs du onze de départ, internationaux ou très proches de leurs sélections respectives tels que Gregoritsch, Doan, Lienhart, Grifo voire Flekken. Enfin, autour d’eux prennent place des figures plus anciennes du club tels que Ginter, Petersen (le meilleur buteur de l’histoire du club), ou Höfler. Enfin, il est intéressant de noter que l’entraîneur Christian Streich lui-même est un ancien joueur du club, formé à Fribourg ! Ainsi, et si nous nous mettions dans la peau du coach allemand ? Comment utilise-t-il les forces et les faiblesses de son équipe pour tirer son épingle du jeu en Bundesliga et rester dans la course en Ligue Europa ?

COMPOSITIONS ET ANIMATION DU SC FRIBOURG

Composition la plus fréquente (10 matchs)
Composition alternative la plus récurrente (5 matchs environ).

FRIBOURG AVEC LE BALLON : CONNAITRE SES FORCES ET EN ABUSER

Christian Streich est au club depuis plus de dix ans. Il a donc vu passer de nombreux joueurs au sein de son effectif et a su s’y adapter pour en tirer le meilleur. Si nous n’avons pas le recul nécessaire pour comprendre comment son modèle de jeu s’est adapté au fil des saisons, une idée cruciale apparaît clairement : chaque principe de son animation avec ballon est taillée sur mesure aux qualités de ses joueurs afin qu’ils soient dans les meilleures dispositions possibles. Si l’on ajoute à cela sa grande connaissance des particularités de la Bundesliga liée à son immense expérience cela donne un modèle de jeu particulièrement bien construit, efficace et agréable pour le spectateur. On y décèle beaucoup d’axes qui traversent une grande majorité de clubs de ce championnat lorsqu’ils ont le cuir : attaquer la surface de réparation adverse en peu de passes, installer une énorme présence dans les surfaces de réparation pour finaliser, proposer des courses sans ballon très conséquentes pour créer des fausses pistes et faciliter les décalages etc…

Ceci étant dit, c’est la grande connaissance et l’utilisation pertinente des qualités de ses joueurs en fonction du rapport de force adverse qui frappe au regard des matchs du SC Fribourg. L’une des pierres angulaires de cette animation c’est Michael Gregoritsch. L’international autrichien est l’auteur de 7 buts et 3 passes décisives au moment de l’écriture de ces lignes. Très fort, dans le jeu en déviation qu’il soit au sol ou aérien (il gagne plus de 4 duels aériens par match), il donne énormément de consistance aux attaques de Fribourg tant dans leur construction que dans leur finalisation. Le gardien Flekken et les défenseurs peuvent le trouver directement par une passe (plus souvent aérienne) afin de sortir le ballon efficacement. Il est donc très impliqué dans tous les cheminements visant à sortir proprement le ballon de son camp. Les milieux de terrain centraux et les joueurs de couloirs aiment se rapprocher de lui pour déclencher des combinaisons. Malgré sa taille importante (1m93), sa mobilité est impressionnante. Il lui est parfaitement possible de se déplacer sur les côtés pour créer du lien et lancer lui-même un joueur dans la profondeur. Il est bien sûr capable de rester intérieur, pour fixer la défense adverse et servir de « planche » pour ses partenaires qui attaqueront la profondeur dans son dos. Néanmoins, sa taille ne l’empêche pas de proposer aussi des courses en profondeur si besoin. Enfin, en atteignant presque les 2 mètres, Gregoritsch dispose d’un atout classique pour finaliser les actions de la tête à la réception des centres. 3 de ses 7 buts ont été inscrits de la sorte. Central dans son rôle, avec 0.47 XG par match en moyenne, et près de 3 tirs par 90 minutes, il est tout aussi central dans son positionnement de départ que l’équipe s’anime en 1-4-4-1-1 ou en 1-3-4-3 C’est d’ailleurs le moment de mentionner immédiatement la grande force de cette équipe sur coups de pied arrêtés avec près de 9 buts marqués sur ce type de séquence, 4ème meilleure équipe de Bundesliga. .

Michael Gregoritsch Photo by Icon sport

Au-delà de ses performances individuelles, Christian Streich a installé autour de lui des joueurs très complémentaires et également cruciaux dans la création des décalages chez l’adversaire. Le premier d’entre eux est l’italien de 29 ans Vincenzo Grifo. De l’Italie, il a gardé l’élégance balle au pied, car pour le reste il a effectué toute sa carrière en Allemagne en y comprenant tous les codes. Ses qualités techniques sautent aux yeux : c’est un droitier qui joue à gauche car il aime rentrer intérieur pour frapper ou passer. Son pied gauche reste largement au-dessus de la moyenne. Sa première touche de balle souvent excellente lui permet de sécuriser la possession dans le camp adverse en phase de relance ou de mettre au sol les ballons déviés par Gregoritsch. Avec son buste droit, ses yeux levés et son pied remarquablement précis, il distille les passes clés (2,2 par match en moyenne), les frappes dangereuses tout en étant particulièrement redoutable sur tous les coups de pied arrêtés qu’il est amené à tirer. Avec 1.93 « chances created » selon Opta (top 6 de la Bundesliga sur ce point), ainsi que 9 buts et 3 passes décisives il réalise pour le moment une des meilleures saisons de sa carrière pour le plus grand plaisir de son entraîneur. Néanmoins, son poids est si important et son profil si spécifique dans l’effectif, qu’à l’image d’un Deulofeu à l’Udinese, son absence peut se révéler catastrophique pour la continuité des performances de son club. Que cela soit pour Fribourg, pour l’Union Berlin, ou pour l’Udinese, c’est une donnée constante pour ce type de club qui joue le haut de tableau sans les mêmes ressources que ses adversaires plus habitués à cet échelon. Effectivement, sans être un « top-player« , la perte de Grifo peut littéralement entraîner l’effondrement de la dynamique collective. Dans ce cadre, l’Union Berlin se voit pour le moment relativement épargné quand l’Udinese ne semble jamais se remettre de la blessure de Deulofeu. Comment cela se passera-t-il pour Fribourg cette saison ? Nul ne le sait. Peut-être les supporters allemands ont-ils déjà allumé un cierge ? Mais revenons aux qualités de l’italien et à son utilisation par Christian Streich.

Si nous avons évoqué son utilité pour tenir le ballon en phase de relance, soit en se positionnant proche de Grégoritsch, soit en décrochant pour orienter avec du temps et le jeu face à lui, il est aussi indispensable dans la seconde moitié de terrain. Dès qu’il se retrouve face au jeu dans le camp adverse, le danger est immédiat pour ses adversaires. Premièrement, il peut alimenter son couloir en trouvant lancé son coéquipier Günter, avec lequel il entretient une relation technique très forte. Les dédoublements (par l’intérieur ou l’extérieur) de ce dernier sont permanents et alimentent en centres Grégoritsch et tous les joueurs qui se projettent dans la surface. Deuxièmement, Vincenzo Grifo peut également utiliser sa qualité de passe pour trouver directement dans la profondeur ses coéquipiers Ritsu Doan ou Gregoritsch dans la profondeur ou entre les lignes à travers des passes liftés qui vont des couloirs vers l’intérieur du jeu. Troisièmement, il peut aussi faire très mal dans le dernier tiers du terrain directement en conduite de balle. Comme l’Italien est à l’aise aussi bien sur son pied droit que sur son pied gauche, il peut choisir de dribbler vers l’extérieur ou vers l’intérieur pour centrer ou frapper ce qui crée une désagréable incertitude chez l’adversaire. C’est aussi dans ce type de situation qu’il peut gagner beaucoup de fautes, et tirer lui-même avec brio, les coups de pied arrêtés ainsi obtenus. S’il est un joueur clé dans tous les moments avec ballon il est peut-être un point faible à exploiter pour les adversaires lorsqu’il s’agit d’attaquer par les côtés. En effet, il est le joueur le moins généreux dans ses replis, le moins véloce aussi pour gagner des duels face à des joueurs lancés. Par conséquent, une bonne animation par l’adversaire de ce côté peut faire mal au SC Fribourg.

Vincenzo Grifo Photo by Icon sport

Le troisième joueur le plus important dans le moment avec ballon du SC Fribourg est incontestablement Ritsu Doan. Si nous nous mettons quelques secondes dans la tête de Christian Streich, la complémentarité de ce joueur avec les 2 cités plus hauts apparaît nettement. Venu du PSV Eindhoven, le joueur de 24 ans, est un dynamiteur, très intéressant de par sa mobilité, sa technique et son sens du collectif. Il est celui qui dribble le plus dans son équipe avec environ 1,8 dribbles par match (Grifo est à 1.3 selon Fotmob) et il propose un volume de course extrêmement important. Lorsqu’il est dans les couloirs, il est le « pendant » de son coéquipier Grifo, en ayant développé une relation technique et affective également importante avec Ginter et/ou Sildillia. L’allemand compte tout autant que son collègue Günter dans la créativité collective puisque il comptabilise 3 buts en championnat, et pèse près de 46 passes par match soit le deuxième meilleur total de son équipe juste après le défenseur central Lienhart. Ritsu Doan ressemble à son collègue italien de par sa qualité en « faux pied » puisque il est un gaucher placé à droite. Ces zones préférentielles sont clairement le demi-espace droit ou carrément l’axe aux côtés de Gregoritsch. Les « une-deux », « appuis-remises » et autres lancements en profondeur sont fréquents entre le Japonais et l’Autrichien. En rentrant intérieur, il se rend disponible pour attaquer la profondeur et recevoir les passes de Vincenzo Grifo. Il libère ainsi pleinement le couloir pour Ginter qui ne se gêne pas pour y débouler. Comme le rappelle Matthias Ribeiro dans l’article qu’il consacre à Fribourg pour Coparena, il est le 7ème joueur de Bundesliga qui effectue le plus de passes vers le dernier tiers du terrain. Les 30 derniers mètres et la surface de réparation sont ses zones de prédilection pour créer du danger. Il peut utiliser sa vélocité pour multiplier les enchaînements « dribbler pour frapper » ou « dribbler pour centrer ». S’il dispose d’un axe de progression clair pour l’entraîneur et l’observateur c’est dans son efficacité pour marquer. Avec seulement 2 buts « scorés », c’est encore trop peu relativement à ses XG sur la saison (3,7).

: Ritsu Doan Photo by Icon sport

Le gain des matchs résulte souvent de la qualité de la relation technique développée par ces 3 joueurs associés à leurs latéraux Günter et Ginter (lorsqu’il est placé excentré). Christian Streich le sait bien. Mais il ne s’agit pas de négliger l’importance des autres joueurs dans l’animation avec ballon. Par exemple, Philip Lienhart, le défenseur central est le joueur qui semble le plus à l’aise pour créer des décalages depuis l’arrière. Même si cela reste très ponctuel, il est doté d’une bonne qualité de pied, il peut donc casser les lignes notamment par la passe. En cela, il complète Flekken, le gardien, pas spécialement impressionnant dans son jeu au pied mais qui sait trouver Gregoritsch dans ses zones préférentielles. C’est là encore, un axe de progression pour le club et pour le joueur. S’ils parviennent à aller loin en coupe d’Europe la nécessité d’avoir un gardien très à l’aise au pied peut devenir une nécessité absolue. D’autre part, le jeune français Sildillia est aussi intéressant grâce notamment à ses qualités sur les touches longues. C’est un atout encore peu développé dans le football moderne, mais lorsqu’on dispose d’un joueur en capacité de trouver des partenaires très loin de la ligne de touche, il est possible de créer du danger avec peu de « munitions ». Gregoritsch ou Grifo, tous les deux à l’aise sous pression raffolent de ces touches directement dans le camp adverse voire dans la surface. Les autres joueurs comme Kyereh, Eggeinstein, Keitel ou Höfler sont plus neutres dans leur utilisation du ballon. En effet, ils se distinguent par la qualité de leurs courses sans ballon, leur lecture des espaces pour bien les ouvrir à leurs coéquipiers plus créatifs. Dans la tête de Christian Streich, ils sont plus interchangeables car présentant des qualités similaires. Et c’est tant mieux ! En effet, Fribourg, en restant en course en Ligue Europa, se voit dans l’obligation de jouer un grand nombre de matchs. Le manque de profondeur dans l’effectif a probablement coûté la descente en 2015, c’est pourquoi, il est indispensable pour l’entraîneur allemand d’utiliser au maximum les joueurs de son effectif pour préserver les organismes.

A la vue du moment avec ballon de Fribourg, ce qui impressionne, c’est comment ils savent créer beaucoup de danger chez l’adversaire, accumuler les victoires avec peu de ressources, et sans disposer de « top player« . Comment l’expliquer ? Simplement, parce que les séquences proposées, sont peu nombreuses, très adaptées aux profils des joueurs, et extrêmement bien exécutées. Pour l’illustrer, prenons le cas de la possession de balle : avec 47% en moyenne par match et 77% de passes réussies, ils se situent dans le milieu de tableau des équipes de Bundesliga sur ce point. Pour autant, les déploiements opérés dans les couloirs sont souvent effectués au bon moment, les joueurs savent fixer d’un côté pour jouer de l’autre, les joueurs savent alterner entre un jeu de fixation dans les pieds et une prise de profondeur. En bref, les fondamentaux du football construit et protagoniste sont magnifiquement respectés. La question qui se pose à l’observateur est la suivante : ce modèle de jeu avec ballon, presque minimaliste, sera-t-il suffisant pour aller chercher de nouveau une place européenne dans un championnat aussi relevé ? Cela dépendra grandement de son articulation avec les moments sans ballons, autre élément très fort du club de la Forêt Noire que nous allons analyser désormais.

LE MOMENT AVEC BALLON DE FRIBOURG EN RÉSUMÉ VIDÉO

FRIBOURG SANS LE BALLON UNE DÉFENSE MÉDIANE MAITRISÉE

S’il y a peut-être une seule raison de regarder la Bundesliga en général c’est pour y admirer l’attitude collective à la perte du ballon : pour un très grand nombre d’équipes, ces comportements sont totalement « protagonistes ». Le SC Fribourg de Christian Streich n’échappe pas à cette règle. Concrètement, cela signifie que tous les moments sans ballon ne sont pas des moments d’attente, des moments spéculatifs, où le fait d’être « bien en place » suffira comme par « magie » à récupérer le ballon suite à une erreur technique, une passe, un contrôle mal ajusté. A contrario, au SC Fribourg, comme dans beaucoup de clubs désormais, le temps sans ballon est un moment de jeu véritable.

Il signifie d’abord la capacité à harceler l’adversaire dans son propre camp. Ce sont des principes désormais classiques et bien connus qu’il s’agit de rappeler en peu de mots : le joueur responsable de la perte de balle est le premier impliqué pour sa récupération immédiate. Dans ce cadre, il doit proposer un « contre-effort » conséquent pour cadrer le porteur, lui fermer les angles de passes, ralentir sa progression tout en laissant ses partenaires organiser une véritable « toile d’araignée » qui rend très difficile, très risquée la progression par du jeu propre, construit, au sol. C’est précisément à cet instant là que la saveur de la Bundesliga prend tout son sens : les équipes tentent malgré tout de ressortir verticalement, d’aller chercher les grands espaces, ce qui provoque des temps de jeu presque « épiques » où la moindre passe qui transpercerait la défense adverse donne une attaque rapide létale. Fribourg s’inscrit dans ce contexte, et sait très bien utiliser ces moments de jeu pour transitionner. Les joueurs savent changer de statut rapidement, ils maîtrisent relativement bien les transferts de marquage et les compensations et ils font preuve d’une agressivité maîtrisée et d’une capacité à rester debout très intéressante. De plus, la relation technique forte évoquée plus haut entre Doan, Grifo et Gregoritsch fonctionne à merveille sur attaque rapide. Le premier est un véritable accélérateur de jeu, quand le deuxième se fait orchestre, pour le troisième plus souvent finisseur que créateur.

Kiliann Sildillia Photo by Icon sport

Une fois cet intervalle de temps passé, les séquences de défense placée peuvent être constatées. Là encore, des principes forts d’un football « protagoniste » sans ballon semblent émerger. Car, les séquences de défense placée, ne sont pas des temps passifs. Ce ne sont pas des temps où certains pourraient penser que l’adversaire va « naturellement » faire des erreurs en se rapprochant de la surface. C’est tout l’inverse. Les séquences de défense placées sont des occasions concrètes de manœuvrer l’adversaire et de l’emmener ainsi « là où il doit aller » pour y créer un rapport de force favorable et « agresser ».

Ainsi, quelque soit l’organisation systémique choisie par Christian Streich, des principes d’organisation très stables demeurent : la priorité est de défendre en position médiane, l’objectif est de proposer un entonnoir coupant toute possibilité de progression intérieure, la conséquence pour l’adversaire est de « jeter » le ballon où de s’enfermer côté face aux joueurs de Streich alors en supériorité numérique.

Comment cela s’articule précisément ? D’abord, l’implication des joueurs les plus hauts sur le terrain est totale. Peut-être est-il encore besoin de le rappeler, mais il n’est pas envisageable de proposer une défense fondée sur « la prise d’initiative » sans que cela engage tous les joueurs du collectif notamment les attaquants. Gregoritsch, Petersen, Höler sont exemplaires à cet égard. Par exemple, notons que les 3 meilleurs joueurs qui réussissent le plus de tacles par 90 minutes au sein de l’effectif sont des joueurs placés hauts sur le terrain : Petersen, Doan et Eggestein. Ensuite, les hommes de Christian Streich priorisent une défense orientée sur l’homme plus que sur la zone. Ce choix défensif est aussi une occurrence très importante de Bundesliga. Sommes-nous là face à un effet de mode où un réel changement de paradigme ? Les adeptes de la défense purement zonale sont-ils partis d’Allemagne ? Cependant, il ne faut pas caricaturer non plus la défense orientée sur l’homme. Dans les faits, celle-ci ressemble plus à une défense mixte, où les principes de zones, de compensation restent prégnants dans certains tiers du terrain, notamment dans cette zone médiane préférée par Fribourg, tandis qu’ils s’affaiblissent pour le « tout-individuel » dans d’autres zones par exemple pour défendre dans sa propre surface ou pour aller chercher très haut dans la surface adverse.

Si cette défense médiane est si efficace c’est parce que les critères de réussite y sont bien maîtrisés : l’équipe gicle sur l’adversaire au bon moment, elle adapte la disposition de sa première ligne défensive en fonction du nombre de relanceurs adverses, elle sait reconnaître un temps de passe « long » d’un temps de passe « court » pour y adapter ses couvertures. Les joueurs de la Forêt savent donc chasser en meute. Mais là encore, les statistiques permettent de voir que le SC Fribourg n’a pas de marge sur ses adversaires : ils ne sont pas les meilleurs au pressing (Matthias Ribeiro mentionne une 9ème place en terme de PPDA), ils ne sont pas les meilleurs dans l’interception (9 interceptions par match, 11ème de Bundesliga), ils ne sont pas les meilleurs « tacleurs » (14 tacles par match, derniers de Bundesliga), et ils font de nombreuses fautes (12 par matchs en moyenne soit le 6ème total du championnat).

Les hommes de Christian Streich défendent donc en appliquant des idées de jeu ambitieuses, adaptées aux profils de ses joueurs : Keitel, Eggestein, Höfler, Weisshaupt, Jeong, Kyereh sont tous des milieux qui partagent la qualité consistant à faire preuve d’une grande générosité ceci étant aussi permis par des capacités physiques et une intelligence situationnelle redoutable. Mais le collectif de Fribourg présente des faiblesses certaines que les adversaires savent utiliser. L’orientation défensive individuelle est particulièrement sensible aux changements de zone adverses et aux appels coordonnés. Si l’adversaire sait « contre-manœuvrer », alors le bloc peut se retrouver très désorganisé. Ensuite, les espaces entre les deux milieux centraux et les deux défenseurs centraux n’est pas toujours bien comblé. Cette zone constitue un carré central très dangereux. En effet, si l’adversaire parvient à se défaire du harcèlement de la première ligne constituée de Gregoritsch, Doan, Grifo pour l’essentiel, les possibilités de transpercer par une bonne passe intérieure se multiplient car cette paire de milieux se retrouve souvent sur la même ligne face à un adversaire désormais non cadré. Le Borussia M.Gladbach a, par exemple, su exploiter cette faiblesse le 11 Septembre 2022. Enfin, si le SC Fribourg aime défendre en avançant, récupérer le ballon dans le camp adverse ou proche de ses lignes de touches, l’équipe présente de vrais carences pour « sécuriser » la possession juste après la récupération. La ligne défensive ne présente pas toutes les garanties techniques pour absorber un pressing adverse intense. Par conséquent, Christian Streich et les siens se retrouvent trop encore trop souvent à rendre le ballon juste après avoir fait un effort conséquent pour le récupérer. Cela s’explique par une difficulté, une contradiction qui semble encore non résolue par l’entraîneur allemand. D’un côté, les joueurs partagent une idée collective de ne pas « jeter » le ballon après sa récupération. De l’autre, les joueurs les plus reculés ne sont pas forcément les plus à l’aise pour contrer un pressing et se responsabiliser balle au pied. Ainsi, ce dilemme peut entraîner de grands problèmes dans un championnat tel que la Bundesliga si ce groupe ne progresse pas dans ce secteur.

Photo by Icon sport

LE MOMENT SANS BALLON DE FRIBOURG EN RÉSUMÉ VIDÉO

Si le SC Fribourg se retrouve analysé ici ce n’est donc définitivement pas le fruit du hasard. C’est un club tout à fait singulier dans sa gestion sportive, exemplaire à de nombreux égards. Il s’agit donc de le mettre en avant dans un sport où les pratiques mafieuses sont toujours un « fait social commun ». C’est aussi une structure qui pratique un football totalement en adéquation avec un « idéal protagoniste » tout en y illustrant toutes les réserves liées à cette idée. « Se faire battre est excusable, se faire surprendre est impardonnable« , cette citation célèbre correspond très bien à cet idéal et à ce que tente de réaliser Fribourg sur le terrain. Par la construction d’un modèle de jeu parfaitement adapté à ses joueurs, par une possession du ballon limitée mais pertinente, par des comportements sans ballon valorisant la prise d’initiative, cette équipe entre sur le terrain avec la volonté de maîtriser son sujet. Toutefois, elle n’est pas exempte de limites. La deuxième partie de saison sera cruciale et celle-ci commence d’ailleurs dans la difficulté. Première implosion contre les loups de Wolfsburg le 21 janvier 2023 (sans Vincenzo Grifo sur le terrain). Deuxième implosion contre le Borussia Dortmund le 04 février 2023 (en jouant à 10 contre 11 plus de 75 minutes). Le SC Fribourg va-t-il replonger dans l’anonymat ou réussir à progresser toujours plus loin? Personne n’a la réponse, mais la question mérite d’être posée. Réponse avant l’été !

POUR ALLER PLUS LOIN :

1/ https://buliland.fr/analyse/sc-freiburg-modele-dun-genre/

2/ https://www.coparena.com/articles/bundesliga-analyse-tactique-sc-fribourg-christian-streich

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