Développer un football protagoniste en Ligue 2 : la référence du Clermont Foot sous P.Gastien

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Crédits : Iconsport

La ligue 2 est-elle toujours un championnat aussi fermé et rude que ce que sa légende laisse entendre ? Les saisons passent et mis à part pour quelques spécialistes, ce championnat garde son étiquette repoussante. Les amoureux d’un football construit, protagoniste n’auraient aucun intérêt à regarder la Ligue 2. Et pourtant… Au-delà d’une généralité banale qui traduit souvent maladroitement une réalité plus complexe, quelques équipes (situées pour partie dans les hauteurs du classement) tentent de proposer au spectateur un modèle de jeu courageux, car pouvant susciter une forme de plaisir au-delà du pur résultat. Le Clermont Foot 63 est de ceux-là. Arrivé au club en septembre 2017, il travaille depuis plus de 2 saisons pour mettre sur les cimes de la Ligue 2 un club qui appartient aux plus petits budgets de sa division. Si cet homme ne semble dégager au premiers abords aucune « aura » médiatique, son travail est de plus en plus distingué et mis en avant, comme l’atteste son élection comme meilleur entraîneur de Ligue 2 2018-2019 par ses pairs. Surtout, c’est le terrain qui décrit le mieux ce coach, et il se pourrait bien que l’observation des matchs de Clermont, sans nier des imperfections évidentes, puisse malgré tout vous réconcilier avec la Ligue 2. Décryptage d’un modèle de jeu où les permutations, les passes et le jeu en mouvement sont érigés en véritable label.

N.B : en cas de première visite sur le site n’oubliez pas d’aller lire mon « idée clée », car elle est cruciale pour comprendre tout le site. Vous ne le regretterez pas! 

LE PARCOURS ET LA SENSIBILITÉ FOOTBALL DE PASCAL GASTIEN

Pascal Gastien ne rentre clairement pas dans la catégorie des « mercenaires » du football ou même des « globe-trotter ». Né à Rochefort en 1963 l’ancien milieu de terrain professionnel a passé l’essentiel de sa carrière dans peu de clubs. Par exemple, il a joué sous les couleurs des Chamois Niortais de 1982 à 1988 puis durant la saison 1989-1990 (après un court passage par l’OM) soit presque 10 ans. Plus tard, en tant qu’entraîneur il revient à Niort pour y passer près de 14 ans. Dans le même registre il a également joué pour Châteauroux entre 1993 et 1997 avant d’aller y entraîner en 2014-2015 sans grande réussite malheureusement. Pour pouvoir parcourir de fond en comble un club aussi bien en tant que joueur et en tant qu’entraîneur il faut indubitablement être capable de laisser une trace, d’abord sur le plan humain puis sur le plan sportif.

Fort, non pas de certitudes mais de convictions Pascal Gastien a très souvent permis de renforcer sportivement des clubs, dans la durée, et de contribuer à leur donner une identité footballistique forte. Jean Marc Furlan, autre entraîneur français « bâtisseur » confirme cette idée lorsqu’on l’interroge sur le style de l’équipe de Clermont que Pascal Gastien entraîne aujourd’hui : « La philosophie de Clermont Foot c’est un jeu de passes, de possession (…) ces équipes sont plutôt rares et en marge des autres. Et c’était déjà comme ça aux Chamois Niortais avec Pascal Gastien.« 

Mais qui de mieux que l’entraîneur lui-même pour évoquer ses convictions sur le jeu et sa méthodologie ? Grâce à un entretien passionnant qu’il a bien voulu accorder à Timothé Crépin pour France Football, nous avons pu en savoir plus sur son projet de jeu. Morceaux choisis : « J’ai mes propres convictions sur le jeu, ça, c’est clair. Avec une méthodologie pour essayer de les mettre en place. On ne fait que des choses qui nous paraissent logiques, simples. On ne réinvente pas le football à Clermont-Ferrand« . Pascal Gastien c’est d’abord un vœu d’humilité. Ensuite ce sont des idées génériques qu’il tente de rendre accessibles à tous, principalement à ses joueurs à travers le développement de leur intelligence, de leur compréhension du jeu chaque jour à l’entraînement : « J’aime avoir la possession. J’essaie de faire pratiquer un jeu complet à mon équipe. Etre bon dans les transitions, être capable de provoquer le désordre chez l’adversaire, par un jeu de position. J’aime que mon équipe aille aussi vers l’avant. Cette manière là de jouer fait partie de mes convictions fortes. Tout comme avoir le ballon. A travers les jeux d’entraînement, (…) les jeux à thème. Des jeux réduits ou à onze contre onze avec des contraintes. » Si certains assimilent le protagonisme a de la conservation pure et simple du cuir, Pascal Gastien rappelle la nécessité d’avoir l’ambition de faire pratiquer un jeu « complet » à son effectif.  Et cela passe par un travail conséquent jour après jour avec l’ensemble du staff : « Avec Franck Azzopardi on passait des après-midi à faire des entraînements. Pour en établir un d’une heure et demi on passait quatre ou cinq heures. On recherchait vraiment de nouvelles choses pour que les joueurs puissent évoluer. On passait beaucoup, beaucoup de temps à créer nos séances. C’est aussi ça qui me plait dans le football. Je n’ai pas perdu cette flamme. Je n’ai pas non plus dix milles exercices que je répertorie. (…) Je n’ai pas une programmation à l’année. Je sais où je veux aller, ensuite, je fais aussi en fonction des joueurs à ma disposition. J’essaie de m’adapter aux qualités et aux défauts. » La encore, ces extraits nous rappellent la vanité des débats autour de la « raideur », du « dogmatisme » des entraîneurs protagonistes. Comme il le souligne au journaliste, son projet de jeu est toujours « co-construit » avec les joueurs à sa disposition et en fonction de leurs caractéristiques.

Enfin, là où tous les entraîneurs protagonistes se rejoignent de Bielsa à Guardiola en passant par Roberto de Zerbi, Gaspérini (et la liste est longue) c’est qu’ils souhaitent avant tout que la victoire soit méritée, c’est à dire qu’elle se traduise sur le terrain et jusqu’aux supporters et observateurs neutres par la qualité du jeu produit et les émotions crées. Pascal Gastien l’affirme : « J’aime quand même bien jouer… Mais j’aime beaucoup gagner. Je ne peux pas gagner n’importe comment. C’est difficile. » Ainsi comment cela se traduit-il sur le terrain ?

COMPOSITION ET ANIMATION

Pascal Gastien s’appuie en général sur un système en 4-2-3-1 et un effectif d’environ 18 joueurs. Les rôles et les hiérarchies semblent clairement répartis à l’image d’un Julio Donisa très rarement titulaire mais qui rentre quasiment à chaque match. Dans l’échantillon de matchs observés, on constate que le milieu de terrain est plutôt fourni en joueurs de qualité pouvant se substituer les uns aux autres. Au moment de l’écriture , Alassane N’Diaye, Yohann Magnin, Mario Gonzalez ou Lorenzo Rajot ne semblent pas être des titulaires indiscutables mais s’incorporent très régulièrement dans le onze. Un « onze-type » qui ressemble souvent à ça :

DE L’ART DES PERMUTATIONS ET DU JEU EN MOUVEMENT : LA PHASE OFFENSIVE DU CLERMONT FOOT 63

La première chose qui saute aux yeux de l’observateur lorsqu’il regarde plusieurs matchs de Clermont c’est l’impressionnante richesse de la phase offensive. De par la variété des configurations, la décortiquer en détail s’avère être un régal pour l’analyste. Dès les phases de sortie du ballon, l’adversaire doit faire face à plusieurs configurations et surtout à des permutations incessantes qui viennent briser l’organisation défensive adverse :

(Dans le système en 4-2-3-1 de Pascal Gastien, David Gomis est théoriquement affilié au couloir gauche et Berthomier derrière Grbic. Or, comme le montre l’image, l’animation du système est bien différente. Gomis dézone ici pour assurer une conservation du ballon face aux trois Lensois. Son déplacement a déclenché celui de Berthomier qui prend sa place pour le moment.)

(Après avoir participé à la conservation de la sphère, Gomis retourne dans sa zone. Le ballon circule latéralement afin de déplacer le bloc défensif lensois tandis que Berthomier prépare déjà une course pour permuter avec son coéquipier.)

(Le bloc de Lens s’est déjà ouvert et Berthomier a su en profiter par cette permutation avec Gomis et ce décrochage. Il se propose dans un intervalle entre 2 joueurs, prêt à recevoir le cuir de son coéquipier Albert pour ensuite l’écarter vers N’Simba et ainsi éliminer la première ligne adverse.)

(La passe de Berthomier sur son latéral va faire sortir son vis-à-vis lensois. Gomis, qui occupe le demi-espace, l’a bien perçu et attaque immédiatement la profondeur dans son dos.)

Cette séquence ne débouchera pas sur une occasion, mais elle laisse déjà observer la qualité des mouvements, leur coordination pour créer des brèches chez l’adversaire.

Là où Clermont est remarquable a observer c’est dans l’utilisation des latéraux dans le système de permutations. On loue souvent le génie de Guardiola, lui-même inspiré de Cruyff pour insérer les latéraux au cœur du milieu de terrain. Pascal Gastien montre qu’il n’y a pas besoin de stars pour mettre en place une telle idée de jeu. Au-delà du niveau technique pur, c’est surtout l’harmonie entre l’entraîneur et les joueurs, le travail et l’adhésion aux idées par ceux-ci qui compte pour proposer des séquences offensives de qualité :

(David Gomis quitte son demi-espace pour s’excentrer totalement à gauche. Son latéral, N’Simba tourne la tête et analyse la situation. Il perçoit Gomis excentré et un grand espace libre devant lui.)

(N’Simba n’hésite pas une seconde et vient s’intercaler au milieu du terrain pendant que Gomis décroche et prend sa place en tant que latéral. Magnin, au cœur du jeu se propose entre deux. A droite, Allevinah et Zedadka se préparent aussi à déclencher un mouvement. Les solutions pour le porteur de balle apparaissent en nombre pour développer l’action.)

(Cette configuration oblige Lens à prendre en compte la présence de N’Simba entre les lignes et ainsi de resserrer. Albert a choisi pendant ce temps de redoubler les passes. C’est également le signal pour déclencher des appels de balle à droite. Allevinah rentre intérieur et Zedadka, très haut se prépare à attaquer la profondeur.)

(C’est l’ensemble des déplacements qui crée une situation de danger potentielle. Avec la présence à l’intérieur d’Allevinah et N’Simba aux côtés de Berthomier, Lens est obligé de resserrer pour éviter une passe laser. Mais cela ouvre la possibilité de lancer Zedadka qui est parti en profondeur. Heureusement pour Lens, le défenseur latéral va finir par rattraper son retard et empêcher le centre du jeune Clermontois.)

Cette situation est intéressante à plus d’un titre. Elle montre s’il était encore nécessaire, les limites de la confrontation figée d’un système contre l’autre pour analyser une équipe. Surtout, elle démontre les qualités de déplacement de Clermont, la liberté donnée à N’Simba, autorisée par la compensation de Gomis pour s’intercaler au milieu. Elle dénote aussi de la force de la relation entre le milieu de côté et son latéral. A Clermont les joueurs de couloir ont l’habitude de se recentrer pour laisser s’exprimer leurs coéquipiers dans la profondeur. Enfin, cette séquence montre que le football protagoniste peut être associé au jeu long. Ce qui compte, c’est de trouver l’homme libre dans un espace libéré. En Ligue 2, il n’y a aujourd’hui pas d’autre équipe qui se permet de donner tant de liberté à tous ses joueurs de champ :

(Cette image laisse apparaître la qualité du « désordre organisé » des Clermontois. Après avoir récupéré le ballon, Magnin observe ses coéquipiers. Berthomier est légèrement à gauche, Allevinah normalement à droite se retrouve plein axe et Gomis se situe axe droit. Cela ne va pas empêcher la création d’un décalage.)

(L’attitude et les déplacements de Gomis sont passionnants à suivre durant toute l’action. Alors que Berthomier occupe la zone de Gomis au départ, que Zedadka est en profondeur à l’opposé, le français de 27 ans se propose entre les deux centraux. Son partenaire Albert va d’ailleurs le servir après cette courte circulation en triangle.)

(Gomis a le ballon dans les pieds et entame un nouveau redoublement côté droit. Celui-ci lui permet de « scanner » le terrain et d’entamer une course depuis la défense dans un espace libre.)

(Les deux joueurs redoublent à courte distance sous les yeux des Lensois impassibles qui coulissent et se préparent à une éventuelle interception. Malheureusement, ils ne font pas assez attention à la course de Gomis qui va tranquillement se placer dans l’intervalle.)

(Les 4 joueurs Clermontois se sont compris du début à la fin de la séquence. Ils ont conservé le ballon jusqu’à ce que leur coéquipier puisse profiter d’une brèche. Ceci fait, ils verticalisent immédiatement pour le numéro 28. Celui-ci reçoit le ballon, seul, bien orienté avec le jeu face à lui. C’est un joli décalage et une situation de danger immédiat pour les Lensois.)

La force du Clermont Foot de Pascal Gastien c’est que le danger peut venir de partout. Des décalages peuvent se créer aussi facilement dans l’axe que dans les couloirs :

(Clermont Foot est en phase de préparation. Une fois de plus, Gomis est redescendu pour laisser sa place au milieu à N’Simba pourtant théoriquement latéral gauche.)

(La phase de conservation s’oriente à gauche et la visualisation du placement des joueurs en rouge est très intéressante : Gomis est de fait le « latéral », Berthomier, numéro 6, est « devenu » milieu de côté et N’Simba, est passé de latéral gauche à milieu offensif. Ces mouvements rendent la lecture des circuits de passe plus difficiles. Clermont opte toujours pour la simplicité avec des triangulations.)

(Un « une-deux » face au défenseur troyen qui sort à contre-temps suffit à exploiter l’espace libre dans son dos. Du mouvement et un jeu en peu de touches de balles permet la création immédiate de danger.)

(Le temps d’avance obtenu au départ par des déplacements bien sentis ne sera pas comblé par les Troyens. Berthomier réussit à trouver N’Simba en profondeur et l’action pourra s’achever sur un centre et une occasion claire de but.)

Par ailleurs, dans l’initiation d’un décalage, il n’est pas rare de voir un milieu du double pivot du 4-2-3-1 redescendre au niveau des défenseurs centraux, les faisant ainsi s’écarter, et de fil en aiguille les latéraux montent d’un cran. C’est la fameuse sortie de balle à la Ricardo La Volpe que Guardiola a « démocratisé » lorsqu’il dirigeait le FC Barcelone :

(Clermont cherche à reconstruire après avoir géré un long ballon dans la profondeur. Sur le temps de passe d’Ogier, Iglesias, le numéro 10 clermontois, va redescendre entre ses 2 centraux.)

(Auxerre, qui a fait le choix d’aller chercher haut n’a pas suivi le déplacement d’Iglesias qui va pouvoir contrôler le ballon et se retourner plein axe.)

(Malgré la pression tardive des joueurs de Jean Marc Furlan, Jonathan Iglesias a trouvé le temps pour servir son coéquipier espagnol Mario Gonzalez, situé hors champ, par une très belle passe verticale entre les lignes.)

(L’espagnol a un temps d’avance suite à cette merveille de passe. Il va aller fixer la défense auxerroise qui se trouve sur le reculoir. Grbic, la véritable trouvaille des dirigeants Auvergnats, en profite pour attaquer la profondeur.)

(Une deuxième passe verticale et dans le bon tempo pour l’appel de Grbic suffit à créer une occasion nette de but : l’Autrichien se retrouve quasiment en face à face.)

L’analyse de toutes ces séquences et la grande implication des milieux de terrain dans la construction des actions pourrait laisser croire que les défenseurs centraux sont déchargés de toute responsabilité dans la relance. Pourtant, il n’en n’est rien :

(Nouvelle configuration de relance à 3 avec Jonathan Iglesias qui décale à gauche sur Ogier. Le défenseur central prend ses responsabilités et attaque l’espace libre face à lui balle au pied.)

(Le défenseur s’est pleinement inséré dans le bloc auxerrois et trouve directement par une passe verticale Grbic qui vient en appui. Berthomier prépare un appel.)

(La remise de Grbic est bien dosée dans la course de Berthomier alors qu’un espace se dessine dans le dos des défenseurs centraux pour le milieu offensif clermontois.)

(Après avoir attaqué l’espace et attiré la défense Berthomier tente de redonner à son attaquant autrichien. Malheureusement, le déchet technique associé à la bonne lecture des Auxerrois va clôturer la séquence.)

Cette séquence entre en résonance avec de nombreuses autres initiatives des défenseurs pendant les matchs. Malgré le soutien indéfectible des milieux de terrain dans la phase avec ballon et notamment en sortie de balle, il est fréquent de voir Hountondji, Albert ou Ogier verticaliser vers un partenaire. Les images montrées plus hauts permettent aussi de noter l’implication de Grbic dans la création de décalages. Même si prendre la profondeur n’est pas sa qualité première, il est le recours prioritaire en cas de jeu aérien. De surcroît, son jeu en remise et sa faculté à se déplacer dans de petits espaces font de lui un relais précieux pour ses coéquipiers.

En résumé, le modèle de jeu de Pascal Gastien s’est construit sur l’idée de créer des supériorités numériques dès la phase de relance, pour pouvoir conserver le ballon, jouer en largeur et surtout en profondeur grâce à des permutations, des changements de zone bien sentis de n’importe quel joueur de champ dans les intervalles. C’est ainsi qu’un adversaire peut se faire aspirer dans l’axe, ouvrir un espace dans son dos qui sera attaqué par un Clermontois. En accumulant beaucoup de joueurs à l’intérieur du jeu, c’est aussi une technique redoutable pour utiliser la profondeur. Effectivement, en fixant beaucoup de joueurs adverses dans le centre, les Clermontois ouvrent naturellement des espaces côtés qui sont librement avalés par les latéraux très hauts. Cependant, la patience est le maître-mot sur le terrain partagé par tous. Personne ne veut confondre vitesse et précipitation et ainsi redonner trop vite le ballon  à l’adversaire. Ce qui entraîne des phases de préparation assez poussées. De plus, le Clermont Foot 63 démontre, si besoin était, que dans un modèle de jeu protagoniste, ambitieux et exigeant physiquement et cognitivement les joueurs peuvent malgré tout bénéficier d’une grande liberté et d’une belle autonomie.

Cette équipe est également très enrichissante à regarder dans sa maîtrise des fixations et des renversements de jeu :

(Clermont, par l’intermédiaire de Magnin en possession prépare une attaque placée côté droit. Zedadka est très haut dans le couloir, Allevinah est à l’intérieur dans le demi-espace et Iglesias s’est excentré.)

(Pendant que la sphère est donnée à Iglesias, Zedadka et Allevinah permutent. Le premier vient demander dans les pieds pendant que le second attaque la profondeur dans son dos.)

(Le mouvement précédent a ouvert une ligne de passe que s’empresse d’utiliser Iglesias. En 3 contre 3 dans cette zone, il réussit à trouver Allevinah lancé. Le bloc troyen tente de colmater les brèches en resserrant. Rajot, qui paraît loin de l’action, se rapproche avec clairvoyance de la zone de jeu.)

(Alors que l’étau se resserre autour d’Allevinah celui-ci décide intelligemment de remiser en 1 touche vers son latéral hors de l’étreinte. Malgré tout, cette zone de jeu semble se refermer. Zedadka l’a observé et va donc donner le ballon à Rajot qui va bénéficier de temps pour orienter le jeu.)

(Alors que 8 Troyens sont concernés pour fermer cette zone, Rajot cherche des espaces à l’opposé. Comme le suggère son coéquipier de la pointe du doigt, il y a des espaces libres à exploiter de l’autre côté.)

(Suite à cette transversale, le décalage peut se finaliser puisque c’est un 2 contre 2 avec beaucoup d’espace à utiliser autour du porteur.)

 Le danger peut décidément venir de partout avec une phase offensive si « complète ». La phase de finition est focalisée autour de Grbic, l’artificier des Auvergnats avec 16 buts au compteur au début du mois de Février. Il n’est pas rare de voir du jeu de combinaison à l’intérieur lui permettant à terme de se retourner pour placer une frappe. De plus, la qualité technique partagée par le collectif permet d’obtenir de nombreuses fautes aux abords de la surface adverse. Chacune d’entre elle représente un moment de tension pour l’adversaire en raison de la qualité du numéro 9 Clermontois dans l’exercice. Avec plus de 3 buts sur coup-franc cette saison, auxquels il faut rajouter des pénaltys l’Autrichien est au-dessus du lot en ligue 2 dans ce registre. D’autre part, l’utilisation pertinente de la profondeur, grâce à des cheminements et des combinaisons de qualité permet de conclure les séquences par de nombreux centres durant lesquels Grbic peut mettre en avant sa qualité de déplacement et son jeu de tête plus que convenable. L’équipe de Clermont est celle qui cadre le plus de tirs en Ligue 2 (source : Opta), c’est aussi celle qui détient le taux de possession le plus élevé en championnat ( 56% Source : Be in sport).  Si cette statistique est très souvent galvaudée, et non pertinente dans les compétitions à élimination directe, elle se révèle utile en championnat, où sur la longueur d’une saison, les équipes qui détiennent la phase offensive la plus aboutie, se retrouvent très fréquemment dans les hauteurs du tableau.

LA PHASE DÉFENSIVE ET LES TRANSITIONS DE CLERMONT : ENTRE SOBRIÉTÉ ET AMBITION

Marcelo Bielsa aime répéter qu’il regarde des vidéos non pas pour apprendre à défendre mais pour développer sa phase offensive. Car en phase défensive, il est beaucoup plus rare d’observer des modèles novateurs d’une équipe à l’autre. L’objectif partagé par la plupart des effectifs est de mettre l’adversaire en crise d’espace et de temps par des mouvements du bloc-équipe qui visent :  soit à enfermer l’adversaire contre une ligne, soit à l’emprisonner dans un entonnoir axial à l’image de la méthode travaillée par Stéphane Moulin à Angers.

Tout l’intérêt réside ensuite dans l’état d’esprit qui préside à cette animation défensive et à la mobilisation du collectif pour la récupération du ballon. C’est ici que Clermont fait la différence :

(La première chose à regarder sur cette image c’est le tableau d’affichage : Clermont mène 1-0 à l’extérieur chez un prétendant à la montée. Ils pourraient décider de « fermer la boutique » en se repliant dans leur camp. Pour autant, suite à cette touche Sang et Or, les 7 joueurs à l’écran décident de rester hauts et Gomis déclenche une course de pressing vers son adversaire.)

(Par cette course, David Gomis empêche son adversaire de jouer à l’opposé. Le Lensois se retrouve à jouer de nouveau dans la densité, là où Clermont est présent en nombre.)

(Le temps de passe a suffi à Magnin pour aller harceler et accompagner le mouvement d’ensemble de son équipe. Il y a tout de même des solutions pour le RC Lens mais encore faut-il avoir le temps de les voir puis de les servir.)

(Au final, après un court échange avec son latéral qui n’a pas trouvé une meilleure option que de redonner le ballon à son milieu de terrain en difficulté, le Clermont Foot 63 a crée les conditions pour récupérer le ballon haut.)

Combien d’équipes professionnelles françaises présentent un tel courage et une telle ambition dans leur phase défensive ? Et si, ces récupérations ne sont pas toujours récompensées, parfois les étoiles s’alignent :

(Ne pas faire fi du contexte : Clermont mène 2-1 chez eux dans un match crucial pour la montée contre un adversaire direct. Ils sont encore à l’attaque et initient un centre à gauche dégagé par le défenseur Troyen.)

(Ce dégagement est maîtrisé par les Troyens qui mettent le ballon au sol malgré la pression clermontoise à l’image de Lorenzo Rajot.)

(Au moment où le milieu défensif troyen sert Tardieu, le numéro 10, deux options pourraient s’offrir aux Clermontois : soit redescendre de 20 mètres pour diminuer la part de risque à s’exposer en profondeur et donc « sécuriser » en attendant l’écoulement du sablier du temps.  Soit, ils peuvent essayer de défendre en avançant. A l’image de N’Diaye mais surtout du capitaine Jonathan Iglesias qui entame une course de harcèlement, c’est la deuxième option qui est choisie.)

(La pression mise par Iglesias provoque l’erreur de Tardieu. Cette récupération osée mais réussie laisse apparaître une transition décisive à jouer.)

(Le maître à jouer clermontois libère dans la course de son numéro 9 autrichien. Il se retrouve idéalement servi, sans être hors-jeu car couvert par l’adversaire entouré en rouge.)

(Grbic ne tremble pas et valorise la volonté et l’ambition de l’équipe entière par cette frappe sous la barre transversale. Cela fait 3-1 et le match est plié.)

Tout éducateur, supporter aime gagner. Rien ne semble remplacer cette émotion unique liée à la victoire. Alors face au temps qui s’écoule, la victoire qui se rapproche, comment ne pas vouloir attendre, être prudent ? C’est un dilemme difficile et chacun dispose de sa sensibilité sur cette question. Pascal Gastien, lui, semble avoir fait son choix, un choix lié à une idée du jeu : être protagoniste. Face aux risques encourus par cette idée, et la pression du plus haut-niveau, comment ne pas admirer un tel parti-pris?

Cependant, ces quelques séquences ne doivent pas nous égarer sur les principes défensifs de Pascal Gastien. Les phases de pressing ont surtout lieu à la perte du ballon si au moins 5 joueurs se sont projetés dans l’attaque. Si l’équipe adverse réalise une passe neutre voire en reculant alors Clermont n’hésite pas aussi à presser. Toutefois, l’observation des rencontres montre qu’il n’est absolument pas adepte d’un pressing tout terrain. Il présente très souvent un bloc médian, discipliné qui cherche à enfermer son opposant contre la ligne médiane grâce à l’implication de tous.

(Cette image est intéressante à plus d’un titre car elle résume certains principes défensifs du Clermont Foot 63 : au-delà du positionnement de chacun assez haut, on observe que les joueurs ne sont pas en marquage individuel. L’objectif semble d’abord de cadrer le porteur et les solutions les plus proches de lui, pour basculer sur le temps de passe. C’est pourquoi les joueurs se positionnent souvent entre deux adversaires, prêts à gicler. Dans ce cadre, ce n’est pas tant l’art du duel qui permet la récupération du cuir mais la science de l’interception.)

(Une image pour illustrer ce qui est peut-être la configuration la plus classique de Clermont en phase défensive : un bloc médian, qui passe d’un 4-2-3-1 à un 4-4-2 avec un bon coulissage sur la largeur. L’implication de la paire milieu-latéral de chaque côté du terrain est remarquable dans ce travail.)

Etre en bloc médian c’est se donner la possibilité d’utiliser la profondeur à la récupération. Utiliser cet espace dans le dos de l’adversaire est une véritable nécessité pour lui, car cela met parfaitement en avant les qualités de ses joueurs comme Gomis ou Allevinah, véloces, toniques et très bons dans l’exploitation des espaces. Si ce modèle peut apparaître relativement sobre, les transitions ne manquent pas d’ambitions :

(Suite à une action dangereuse subie dans leur surface, Clermont récupère le ballon par Albert, qui ne panique pas et décide de servir Gomis au sol pour lancer la transition.)

(A peine le cuir maîtrisé par Gomis, il se retrouve sous la pression troyenne. Cependant, Gomis nous montre l’étendue de sa confiance et de son talent : pendant que ses partenaires gagnent du terrain il tente et réussit un sublime crochet court pour se sortir de l’étau, sans donc avoir besoin de dégager le ballon.)

(Gomis a éliminé un joueur et va fixer le second pour pouvoir servir Rajot dans les meilleures dispositions : celui-ci a de l’espace devant lui et Allevinah en relais qui continue sa projection à droite.) 

(D’une passe pleine de sang-froid, le numéro 8 clermontois trouve Allevinah lancé.)

(Il aura fallu un dribble, deux passes bien senties pour mettre sur orbite l’autre joueur de couloir clermontois qui peut désormais attaquer le but adverse quasiment en face à face avec le gardien.)

Les phases de transition sont l’occasion d’utiliser les qualités de dédoublement des latéraux et plus globalement la force des Clermontois dans l’exploitation de la profondeur :

(Lens tente de bien négocier ce 4 contre 3 couloir droit en utilisant l’espace dans le dos du latéral clermontois par un petit ballon par-dessus. Malheureusement, celui-ci est intercepté et lance le contre des Auvergnats.)

(Magnin a gagné des mètres balle au pied pendant que 4 coéquipiers se projettent. Il se prépare à servir Allevinah dans le dos du latéral lensois. Grbic est entre les 2 défenseurs adverses et Gomis arrive à grande enjambées.)

(Tandis que Grbic occupe l’axe central, Allevinah profite des dernières micro-secondes d’avance pour placer un centre au ras du sol qui va se retrouver dans la course de Gomis.)

(Il aura suffit d’une passe profonde et d’un centre en retrait pour provoquer une grosse occasion de but : Gomis se retrouve seul face à Leca mais malheureusement pour Clermont, il perd son duel et ainsi le bénéfice de cette transition jouée efficacement.)  

Même si Clermont est enthousiasmant à regarder, qu’ils présentent un modèle de jeu très travaillé, on constate pourtant qu’ils ne sont pas en tête de leur championnat. Au-delà du facteur aléatoire inhérent à notre sport, cette équipe possède de nombreuses lacunes individuelles et collectives qui la séparent d’un club comme Lorient qui apparaît peut-être moins spectaculaire mais plus « fiable. »

LES AXES DE PROGRES

L’une des caractéristiques que l’on retrouve souvent parmi toutes les équipes au projet de jeu « protagoniste » c’est l’écart entre le nombre de situations crées et le nombre de situations converties. En l’absence malheureuse d’xG, et avec à sa disposition l’un des meilleurs attaquants du championnat,  il reste malgré tout cette impression visuelle frappante d’un manque d’efficacité en phase de finition.

D’autre part, si Clermont propose un pressing intéressant sur plusieurs temps d’un match, celui-ci n’est pas toujours bien réalisé. En effet, il n’est pas rare de voir un joueur sortir à contre-temps ou une zone mal fermée. En ligue 1, si ce club parvient à cet échelon, cela pourrait s’avérer dévastateur face à des équipes meilleures techniquement et physiquement.

La défense de leur propre surface de réparation représente un autre axe de progression pour les hommes de Pascal Gastien. En effet, s’ils sont capables de ressortir proprement une fois le ballon mis au sol dans leur zone défensive, ils apparaissent souvent en difficulté lorsqu’il s’agit de « nettoyer » des ballons aériens, de gérer des coups de pied défensifs tirés rentrant. Il faut souvent un grand Maxime Dupé pour les sortir de ces situations difficiles.

Enfin, et c’est peut-être l’écueil que l’on retrouve le plus souvent chez des équipes qui aiment confisquer le ballon, c’est la tendance à plonger dans un « faux-rythme ». Face à des équipes adverses qui pour la plupart se contentent « d’attendre l’erreur », Clermont peut enchaîner des phases de conservation très importantes devant sa surface de réparation. Si la patience est une clef dans la création des décalages par le Clermont Foot 63, il suffit d’un petit manque de confiance, d’une moindre prise de risque, d’un déchet technique plus conséquent ou tout simplement d’une baisse physique (entraînant un manque de mouvement) pour que la partition des hommes de Pascal Gastien devienne neutre voire pauvre.

CONCLUSION

Le Clermont Foot de Pascal Gastien est une véritable bouffée d’air frais dans le paysage footballistique français. Alors que les observateurs semblent toujours plus critiques quant au niveau et au spectacle proposé dans l’élite du football français, le club auvergnat, 4ème en février 2020 et donc aux portes de la ligue 1, nous rappelle qu’il n’y a pas de « fatalité » qui s’abattrait sur notre football. Avec des lacunes, de l’humilité mais surtout beaucoup de travail il est possible de faire exister des modèles de jeu protagonistes dans un climat où la prise de risque, le spectacle semblent bannis au détriment du seul résultat. L’observation de l’évolution de ce club nous rappelle aussi toute la globalité du football. Un entraîneur seul, ou des joueurs de football de qualité ne sont pas toujours suffisants. Le football est un tout et il ne faudrait pas négliger l’importance des dirigeants, capables d’absorber la pression, de laisser le temps au staff pour travailler et construire un collectif harmonieux malgré les vagues de départ perpétuels. Ce modèle pourra-t-il faire école ? 

 

 

3 réflexions sur « Développer un football protagoniste en Ligue 2 : la référence du Clermont Foot sous P.Gastien »

  1. Bel article. Comme dab.
    J’ai moi aussi été impressionné en début de saison par cette équipe en ayant vu ‘au hasard’ 3 matchs.
    Certains joueurs ont un vrai bagage technique, et bizarrement, surtout des joueurs placés bas. Je pense à Ogier, N’simba, notamment, ou Iglesias qui sont des joueurs sous côtés. Biensur Grbic devant. Je n’ai pas trop suivi la suite du championnat, mais je n’ai pas trop compris pourquoi ils étaient si ‘bas’ au classement.
    Le problème de la possession stérile est peut être due au manque de qualité des ailiers? J’avais trouvé une facilité à relancer mais difficulté dans les 30 derniers mètres.
    En tout cas, équipe agréable à regarder.
    Merci pour vos articles !

    • Merci pour ce commentaire intéressant et motivant. De mon point de vue l’équipe est à peu près homogène techniquement. Le cas des 30 derniers mètres est complexe à expliquer et revient constamment pour beaucoup d’équipes protagonistes. Le dernier geste ou la dernière passe restent les éléments les plus difficiles à réussir dans notre sport et Clermont n’échappe pas à cela surtout lorsqu’on voit l’énergie physique et mentale mise dans les autres phases de jeu. Il faut énormément de qualité individuelle pour convertir les situations où la crise d’espace et de temps est la plus aigue.

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