Entretien avec Thierry Guillou : « le football doit être vu comme un art avant d’être perçu comme un combat »

Temps de lecture : 13 minutes

Beautyfootball 2.0 continue d’évoluer. Aujourd’hui pas de présentation d’un futur grand coach professionnel de demain. A quelques jours de la sortie du livre « Football et formation : une certaine idée du jeu » édité chez l’Harmattan, nous avons eu l’immense privilège d’avoir pu nous entretenir avec Thierry Guillou auteur, mais aussi éducateur de jeunes footballeurs au FC Lorient. A travers un fourmillement de questions, nous avons pu balayer beaucoup de thématiques analysées dans ce livre et dresser un panorama précis de l’état de notre football professionnel hexagonal. Ainsi, comme souvent lorsque l’on va explorer les choses en profondeur, nous en ressortons grandis, avec cette impression troublante, que, dans notre football rien n’est ni noir ni blanc, tout est complexe. C’est un combat idéologique qui se joue au quotidien à travers la pédagogie et les messages des éducateurs de France et de Navarre, des centres de formation jusqu’à la vitrine qu’est la Ligue 1. Au delà de la description grisante qui en est faite par Thierry Guillou, l’auteur se positionne et tente de défendre une certaine idée du football, une idée ambitieuse, exigeante, une idée pour tirer notre sport préféré vers le haut. Entretien fleuve.

N.B : en cas de première visite sur le site n’oubliez pas d’aller lire mon « idée clée », car elle est cruciale pour comprendre tout le site. Vous ne le regretterez pas.

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

Peux-tu te présenter en tant qu’individu, puis présenter ton parcours professionnel jusqu’à aujourd’hui ?

Je m’appelle Thierry Guillou, je suis éducateur au sein du centre de formation du FC Lorient.

J’ai un parcours relativement classique puisque j’ai débuté le football à l’âge de 5 ans. A 11 ans, j’ai été recruté par le FC Lorient à une époque où la « préformation » n’avait pas encore cette appellation. A 15 ans, j’ai intégré le centre de formation du club pendant 3 saisons (je faisais partie des 60% de joueurs présents dans les centres de formation nés dans les 4 premiers mois de l’année civile). Et à 18 ans, je suis retourné dans le football amateur jusqu’à mes 28 ans.

Au niveau de mon parcours d’éducateur, après l’obtention d’un Bac ES, j’ai passé une Licence STAPS à l’Université de Brest puis un Master en management du sport à Nantes. Avec des thématiques d’études liées au football et à la formation des jeunes joueurs.

Parallèlement j’ai suivi les formations délivrées par la FFF jusqu’au BEF. Pendant plusieurs saisons j’ai encadré les jeunes footballeurs au sein de clubs amateurs puis, à présent, au sein d’une structure professionnelle. Cela fait 8 ans que je travaille à temps plein dans des clubs de football. J’ai eu la chance d’encadrer à tous les niveaux d’âge (des U7 aux U19), d’avoir des missions sur le recrutement des jeunes joueurs, d’entraîner les gardiens de but…

Par ailleurs, j’ai toujours essayé d’enrichir mon parcours en regardant ce qui se faisait dans d’autres centres de formations français mais aussi à l’étranger.

Etre ni auteur, ni journaliste, mais éducateur de football et vouloir écrire un ouvrage n’est pas quelque chose de très commun, ainsi, comment en-es-tu arrivé à vouloir écrire un livre sur le foot ?

Effectivement l’une des particularités de cet ouvrage réside dans le fait qu’il n’est pas écrit par une personne dont c’est la profession. Je ne suis pas destiné à écrire des livres… mais je suis passionné ! Ce projet a émergé en 2010 pour 2 raisons principales, d’une part j’avais la volonté de structurer ma pensée et d’autre part, je souhaitais la faire partager. C’est d’une certaine façon une manière de jouer collectif, de faire la passe pour que chacun prolonge l’action à sa façon et selon sa sensibilité. J’ai eu la chance dans mon parcours de rencontrer des personnes qui m’ont fait partager leur vécu, leurs idées. Ça donne l’envie de partager à mon tour.

Peux-tu nous en dire plus sur les conditions de création de cet ouvrage, sur quel socle t’es tu appuyé ? Cela représente quelle quantité de travail en plus de ton quotidien ?

Pendant de nombreuses années (et encore aujourd’hui), j’ai archivé des citations et réflexions d’entraîneurs dans lesquelles je me retrouvais. Au fil du temps, émergeaient des caractéristiques communes aux différentes réflexions, certaines cohérences. J’ai alors entrepris de créer des liens, de formaliser les choses par écrit jusqu’à l’aboutissement que représente ce livre.

Il est impossible de quantifier exactement la charge de travail que cela représente car le projet a émergé en 2010 et se concrétise en 2018 avec des périodes de production fastes et des périodes très creuses pouvant durer plusieurs mois.

Quel est l’objectif derrière la publication du livre et à qui s’adresse-t-il ?

L’objectif premier du livre est le partage. Il s’adresse à tous les éducateurs, les étudiants (STAPS) et plus généralement à tous les passionnés qui aiment ce sport pour son fondement véritable à savoir le jeu collectif et son émergence.

 

HISTOIRE  ET EVOLUTION DE L’APPROCHE FRANÇAISE DU JEU

 

Ne pensez-vous pas que la France est habitée par une culture défensive de l’ensemble de ses sports collectifs ?  Si on prend encore l’exemple du handball féminin récemment, c’est encore la capacité de destruction de l’attaque adverse qui les a principalement portées jusqu’au toit du monde. Ainsi, malgré les exceptions comment expliquer que les grands techniciens français soient pour beaucoup à ce point marqués par une vision défensive du jeu ?

Je ne le pense pas. Il faut se méfier des représentations qui sont, bien souvent, un frein à une analyse objective d’une situation. Par exemple, en football, la France a effectivement construit certains de ses succès en se reposant sur des bases défensives très prégnantes (ex : Mondial 98) mais elle a également remporté de grandes victoires grâce à un style beaucoup plus offensif (ex : Euro 84). Par ailleurs, certains sportifs comme Yannick Noah (Tennis) ou Teddy Riner (Judo), dans des disciplines individuelles, ont marqué le sport français par une approche offensive de leur jeu. Enfin, le football français révèle depuis des décennies des joueurs offensifs de grand talent tels que Kopa, Platini, Papin, Zidane, Henry, Mbappé…etc. Cela signifie assurément que ces joueurs ont rencontré un cadre d’expression qui leur a permis de manifester leurs qualités, leur créativité.

Concernant les grands techniciens français, Arsène Wenger ou Jean-Claude Suaudeau par exemple ont réussi à faire jouer leur équipe avec un style résolument offensif. D’ailleurs, plutôt que de football offensif, il serait certainement plus juste de parler de football construit, ce qui représente une petite nuance.

Si l’on tente d’aller plus loin, peut-on trouver des corrélations entre l’histoire des idées de nos techniciens du sport et notre histoire militaire ? Pour appuyer cette question je vais encore citer Garcia ce samedi dans l’équipe : « Il faudra batailler jusqu’au bout, être le vainqueur de cette guerre à la fin.  J’aime bien ce vocabulaire guerrier dans le sport. » 

Si un parallèle entre le football et la guerre doit être réalisé, ce n’est certainement pas dans le rapport au combat mais plutôt dans celui lié à la stratégie. La stratégie du sport et celle de la guerre présentent certaines similitudes. Par exemple, la lecture du livre de Sun Tzu (« l’art de la guerre ») met en lumière des transferts possibles entre ces deux domaines.

Sans être un grand spécialiste de l’histoire de France et des actions militaires menées, il me semble que la France dénombre tout de même quelques grands stratèges offensifs parmi ses anciens souverains. Mais l’histoire de la France est plus intéressante à regarder à travers le prisme de l’art que de celui des luttes. Certains monarques conquérants (ex : François 1er et Louis XIV) ont ainsi beaucoup œuvré pour le développement de l’art en France. Et cette sensibilité historique pour les belles choses peut influencer notre regard sur le jeu. Le football doit être vu comme un art avant d’être perçu comme un combat

Vous parlez régulièrement du conformisme des idées chez les techniciens de haut-niveau en France. Que pensez-vous du parcours de formation proposé par la F.F.F aux éducateurs ? On a le sentiment qu’au-delà du BMF, on est plus dans une usine de recyclage à joueurs pros que dans la sélection d’individus pouvant véritablement  apporter à leur sport. Qu’en pensez-vous ?

Le conformisme n’est que la conséquence du poids de la norme qui est extrêmement présente dans notre société. Ceux qui sont en position d’errance à l’égard de cette norme sont, bien souvent, stigmatisés. Ils doivent alors « lutter » pour faire valoir leurs idées et contribuent, dans bien des cas, à l’innovation.

Concernant la sélection des candidats aux diplômes d’entraîneur, il est nécessaire de considérer l’influence de l’histoire. Par exemple, le Brevet d’Etat a été créé en 1963 et avait, entre autres, pour objectif de favoriser la réinsertion des anciens joueurs.

Si il y a une faille (ou une incohérence), elle est certainement dans le fait qu’il est par exemple interdit d’entraîner une équipe professionnelle sans détenir le DEFP alors que pour obtenir ce diplôme il faut justement entraîner une équipe professionnelle… ou alors être un ancien footballeur professionnel reconnu.

Toujours sur le profil des techniciens français : à la différence de certains pays étrangers comme le Portugal, très peu de coachs français s’imposent au haut-niveau sans avoir connu un parcours professionnel auparavant. Comment l’expliques-tu? 

Avoir côtoyé le haut niveau en tant que joueur s’avère être à la base un avantage certain. Mais l’attention, l’observation et l’analyse que le joueur professionnel aura portée tout au long de sa carrière sur ses entraîneurs et sur les entraînements dispensés par ces derniers jouent un rôle déterminant quant à sa capacité à devenir un technicien de qualité.

Cela dit, tous les anciens joueurs professionnels n’ont pas profité de la position privilégiée que leur a offerte leur carrière pour développer les compétences requises à l’entraînement d’une équipe. Aussi, il ne me paraît pas absolument nécessaire d’avoir été un joueur professionnel pour devenir un bon entraîneur. Mais la norme actuelle tend à considérer le contraire.

Quelques pays européens font émerger au haut-niveau des entraîneurs très jeunes avec un idéal de jeu assez marqué (Nagelsmann, Tedesco, Tuchel en Allemagne, Giampaolo, Oddo, Montella en Italie), la France semble encore en retrait sur ce terrain. Partages-tu ce constat ? Comment l’expliques-tu ?

En France, il n’y a pas de volonté forte d’assimiler son club à une culture du jeu. C’est pourtant potentiellement un vecteur de développement important.

Dans ton ouvrage tu cites énormément Mr. Denoueix, tu as eu l’occasion d’échanger avec lui, de travailler à ses côtés ? Comment expliquer qu’un tel technicien ne soit plus sollicité au haut-niveau aujourd’hui ?

Il y a quelques mois, j’ai eu la chance dans le cadre de mon activité professionnelle, d’avoir un long moment d’échange collectif sur le football et la formation avec Monsieur Raynald Denoueix. Cela a été une expérience très positive car depuis plusieurs années je recensais ses principes de jeu et ses différentes réflexions sur le football que je partage d’ailleurs dans le livre.

Après, le fait que Monsieur Raynald Denoueix n’entraîne plus en 2018 ne me choque pas plus que cela. En revanche, qu’à l’issue de son expérience au Réal Sociedad (2004) il n’est plus entraîné interpelle ! Cela résulte vraisemblablement du fait qu’il n’ait pas trouvé de contexte favorable au développement de ses idées.

Certains formateurs comme Olivier Alberola, Pierre Sage soulignent que le football français aurait à gagner à se rapprocher de l’université (à l’image du Portugal), et de sa grande capacité de recherche. Partages-tu ce constat ? Y-a-t-il assez de liens entre le foot et l’université en France ? 

Même si le chemin se fait doucement, j’ai le sentiment qu’un rapprochement est en train de se faire. Tout du moins, il y a à présent une considération de l’un pour l’autre. La méfiance est souvent le fait d’une méconnaissance des uns et des autres. Par ailleurs, je ne sais pas si l’Université au Portugal est similaire à l’Université en France.

A titre personnel, je suis issu de la formation universitaire et de la formation fédérale. Si mon cursus fédéral m’a apporté les bases nécessaires pour mener une activité d’entraîneur, l’Université m’a appris à interroger les limites des savoirs. Elle ne m’a pas imposé une manière de faire, elle m’a présenté plusieurs chemins empruntables et m’a permis de faire des liens entre les différentes disciplines sportives. Elle a également révélé mon goût de la recherche, de la réflexion et de l’analyse dans la conception des contenus d’entraînement, dans l’approche de la pédagogie à appliquer et dans l’appréhension d’un football de qualité.

Tu évoques longuement un rouage essentiel de notre football : les dirigeants. Tu cites par exemple Louis Nicollin : (…). Alors ça va être clair, l’entraîneur qui ne termine pas dans les trois premiers de chaque catégorie de jeunes, il vire ». Les problèmes récurrents au niveau de la formation ne sont-ils pas plus imputables à nos dirigeants qu’à la qualité de nos éducateurs ou de nos infrastructures ?

La formation en France se porte plutôt bien lorsque l’on voit le niveau de jeu des joueurs de moins de 25 ans évoluant en Equipe de France (Varane, Mbappé, Lemar, Pogba, Dembélé, Umtiti, Coman, Fekir…). Cela dit, elle pourrait peut-être exceller davantage ou autrement.

Il apparaît difficile de dissocier les dirigeants, des éducateurs ou des infrastructures car tout est lié. Il ne faut pas négliger l’influence de l’organisation d’un club sur l’ensemble des composantes de ce club qui influencent elles-mêmes l’organisation. C’est exactement la même chose que pour le jeu.

Toutefois, une politique brute de résultats chez les jeunes à des effets néfastes sur le jeu et les joueurs.

Tu dis en conclusion : « D’ailleurs, parmi les entraîneurs régulièrement cités dans cet ouvrage (Suaudeau, Cruyff, Sacchi, Denoueix, Guillou, Wenger, Gourcuff, Bielsa, Guardiola), il existe de nombreuses nuances, parfois fortes, sur leur conception du jeu et de l’entraînement. » Peux-tu nous en dire plus sur les nuances que tu évoques chez ces entraîneurs ?

Par exemple, si Josep Guardiola revendique explicitement l’influence de Marcelo Bielsa sur son activité d’entraîneur, force est de constater que plusieurs de leurs principes de jeu sont différents (ex : la défense individuelle de Marcelo Bielsa). De même, les concepts d’entraînement d’Arrigo Sacchi (ex : répétition de travail tactique à vide) ne sont pas les mêmes que ceux d’Arsène Wenger. Toutefois, la finalité de tous ces entraîneurs est la même : la recherche d’un idéal, gagner avec élégance.

Tu évoques très souvent le FC Lorient et l’exemple qu’il semble représenter pour la formation. Peux-tu m’en dire plus sur le Lorient de C.Gourcuff ? Sur quelle méthodologie d’entrainement s’appuyait-il pour tenter de donner un style à son équipe ?

C’est naturellement que l’exemple du FC Lorient revient régulièrement dans le texte car il s’agit du club professionnel que je connais le mieux.

Concernant le FC Lorient que Christian Gourcuff a dirigé, il y a eu une constance dans le temps sur les intentions de jeu. Et par période, la cohésion collective a atteint un niveau remarquable ! Par exemple, la 1ère montée du club en L1 en 1998 était merveilleuse d’un point de vue collectif. De même, en 2010, le jeu était élaboré avec des mouvements offensifs de grande qualité.

Par ailleurs, Christian Gourcuff a contribué par son approche du jeu collectif à révéler des joueurs comme Pédron, Seydou Keïta, Ziani, Baky Koné, Jallet, Gignac, Morel, Abriel, Koscielny, Gameiro, Aboubakar, Lemina, Raphaël Gueirrero…etc.

Au niveau de la méthodologie de l’entraînement, elle s’organise autour de « passe et va », de conservation réduite, de jeux structurés, de travail tactique afin de créer des codes communs de jeu. A l’échelle de la formation l’approche est différente car ce qui est valable pour une équipe professionnelle n’est pas toujours adapté au développement des plus jeunes.

Dans les médias deux approchent se font concurrence sur le cas de C.Gourcuff :  certains disent qu’il proposait un football avec un véritable style et une vraie préoccupation pour la phase offensive. D’autres le critiquent en disant que c’est un professeur du football, hautain, dépassé dans son management et rabaisse son football à un bloc médian attentiste voulant piquer l’adversaire sur 2-3 contres bien huilés ? Toi qui l’a bien connu, ou situer le curseur ?

Les principes de jeu de Christian Gourcuff sont bien établis et ont fait l’objet d’une formalisation très fine. Il s’appuie sur un système de jeu unique (4-4-2) qui présente des variantes selon le profil des joueurs qui le composent. La recherche de la fluidité de jeu, d’un football liquide, est une recherche constante.

Pour durer dans le temps, comme il a réussi à le faire, Christian Gourcuff a dû s’adapter. Par exemple, il a évolué sur la notion de possession du ballon d’une approche quantitative (forte possession) vers une approche qualitative (possession positive). Autre exemple, pendant longtemps à la perte du ballon ses équipes reformaient rapidement un bloc équipe compact. Par la suite, elles ont proposé une alternative avec un harcèlement à la perte selon les situations de jeu. Son FC Lorient défendait en faisant très peu de fautes car la recherche de la récupération collective du ballon était basée sur l’interception.

C’était une évidence de le solliciter pour la préface du livre et la spontanéité de sa réponse (comme celle de Jean Marc Guillou) est significative : il joue collectif. Je pense que la conception que l’on a du jeu et celle que l’on a de la vie sont liées.

POUR UNE AUTRE VISION DU FOOTBALL, UN AUTRE CHEMIN DANS LA FORMATION DU JOUEUR  ET LA  CONSTRUCTION DE L’ IDENTITÉ DE L’ ÉDUCATEUR

 

Sur la surabondance des centres de formation  : le problème vient-il vraiment du trop grand nombre de joueurs présents ou du manque de travail et de ressources données aux joueurs qui ne réussissent pas à aller au bout ?

Je crois beaucoup au principe de l’auto-formation, à l’enrichissement des jeunes joueurs entre eux, c’est-à-dire que chacun tire profit des qualités des uns et des autres pour progresser. Or s’il y a trop de centres de formation, les talents sont dispersés et l’auto-formation est beaucoup moins efficace.

Avoir plus de centres de formations que la moyenne, et donc potentiellement plus de joueurs confrontés à des éducateurs de grande qualité, n’est ce pas augmenter ses chances de repérer et faire éclore les talents ?

Non pour la raison que je viens d’évoquer précédemment, mais aussi parce que structurellement le besoin en joueurs de haut niveau en France (75 joueurs/an environ pour L1 et L2 confondues) reste toujours le même. Donc mieux vaut contribuer à l’éclosion de joueurs encore plus talentueux plutôt que de « brasser » plus large en générant encore plus de frustration chez le jeune joueur en non réussite.

Dans la continuité de cette idée à l’encontre de la votre : s’il y a plus de centres de haut-niveau, il y a plus de chances que l’enfant réussisse puisque il peut en trouver un plus facilement à côté de chez lui, ce qui favorisera son climat d’apprentissage ? Ainsi, le problème ne vient-il pas de la surabondance des centres mais plutôt de la financiarisation du football et du vice humain des recruteurs-formateurs ?

La proximité est indéniablement un facteur favorable à la révélation du joueur…mais la qualité de l’accompagnement en est un autre peut-être encore plus déterminant.

Quels garde-fous peut-on placer en plus pour lutter contre la financiarisation de la détection des jeunes footballeurs ?

Je suis malheureusement dépourvu de solution sur cette problématique. Si j’en avais une, je m’empresserais de la présenter aux instances dirigeantes du football car l’argent pollue la formation des jeunes joueurs… et le football en règle générale.

Tu évoques rapidement l’importance du futsal dans la formation des qualités du joueur : peux-tu en dire plus sur l’utilisation concrète de ce procédé dans les centres de formation français ? Cet environnement est-il suffisamment exploité ?

Les vertus du futsal dans le cadre du développement du jeune joueur sont multiples et notamment sur deux aspects : la fréquence régulière des contacts avec le ballon et la gestion des phases de transition. En France, cette pratique est en voie de développement. A quelques exceptions près, elle ne fait pas partie des procédés de formation dans les clubs professionnels. Pourtant, de nombreux joueurs comme Socrates, Bebeto, Deco, Ronaldinho, Xavi, Iniesta, Neymar ou encore Ben Yedder ont connu une pratique du futsal pendant leur jeunesse.

Tu développes dans ton ouvrage beaucoup d’idées liées à la pédagogie dans l’entraînement du joueur en soulignant par exemple l’importance du jeu : où est ce que tu te situes dans le débat classique entre pros-analytiques et pros-global pour le travail technique ?

A l’image de la couverture du livre, tout n’est pas noir ou blanc. Il y a souvent une part de noir dans le blanc et inversement. Aussi, je vois des choses intéressantes dans les deux approches.

La limite du travail analytique est qu’il est réductionniste alors que le football doit être pensé dans sa totalité, ce que cette démarche n’appréhende pas. En revanche, elle permet d’être précis sur certains aspects !

L’approche globale considère le football comme un jeu complexe dans lequel les situations sont interdépendantes. Elle accepte que les choses ne se déroulent pas de la même manière selon le contexte, la temporalité…etc. En revanche, elle possède les défauts de ses qualités, c’est-à-dire qu’elle peut manquer de précision sur certains points.

Pour l’une comme pour l’autre de ces approches, l’essentiel réside dans le sens que le joueur met dans son activité.

Tu n’évoques pas la méthode Coerver (la méthode Coerver est une méthode d’enseignement du football qui se focalise sur le développement individuel de joueurs et le jeu en petits groupes) dans ton ouvrage : que penses-tu de son apport dans la formation du joueur ?

Effectivement, la méthode Coerver n’est pas présente au sein du livre et pourtant je n’ai rien contre cette méthode. Je pense même qu’elle présente quelques éléments intéressants. Ce qui me dérange, c’est le principe de « méthode » qui voudrait que son application soit identique partout indépendamment du contexte. Or je ne pense pas que l’on peut reproduire les choses avec la même efficacité sans considérer l’environnement.

Pour terminer, quelles sont les lectures qui t’ont le plus marqué dans ton parcours d’éducateur ? Si tu devais conseiller deux ouvrages ce serait lesquels ?

Dans la littérature en lien avec le football, le premier ouvrage m’ayant marqué est « Football je t’aime…moi non plus » de Jean-Claude Trotel. Dernièrement, j’ai particulièrement apprécié « La Métamorphose » de Matin Perarnau.

Par ailleurs, les nombreux articles et exposés de François Bigrel et Claude Fauquet (disponibles sur Internet), personnages qui ne sont pas issus du paysage footballistique, sont également très intéressants et suscitent une réelle réflexion.

En clôture, nous remercions une nouvelle fois Thierry Guillou pour sa confiance et nous vous donnons rendez-vous le lundi 8 janvier 2018. Pour commander le livre (à compter de la date de sa sortie) : , amazon.fr ou à partir de toutes les librairies. Prix : 16 euros »

 

 

 

 

 

 

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