En 2023, La ligue 1 est-elle encore ce championnat, ce « paradis des vainqueurs » où l’on donne exclusivement « le mérite à celui qui gagne, parce qu’il a été plus fort que les autres » (1) ? La Ligue 1 est-elle encore dominée par les apôtres répétant journée après journée, tel un catéchisme « Ça me va si on n’est pas très bien dans le jeu et qu’on est capables de gagner » (2) ou « si vous voulez du spectacle, allez au cirque ! « (3) ? Didier Deschamps est-il encore « l’élu », la quintessence pure et parfaite de l’entraîneur français contemporain incarnant à la fois l’acmé de la compétence footballistique et la platitude d’une vision du football détachée du spectateur, de l’émotion procurée ? Si la réponse à ces questions aurait pu être « évidemment » positive il y a 10-15 ans, rien n’est moins sûr actuellement. Si le football mondial contemporain s’inscrit aujourd’hui dans un fétichisme de la compétition, dans une idolâtrie du résultat, n’oublions pas que ce sport s’est construit historiquement (4) comme un jeu, c’est à dire comme une activité libre, gratuite et sans classement. Au milieu de cette contradiction apparente, de cette ambivalence, comment l’entraîneur de Ligue 1 peut-il se positionner aujourd’hui ? Au sein de cette bataille culturelle, idéologique européenne et mondiale, la France, à travers son championnat de haut-niveau évolue. De nouveaux profils d’entraîneurs (français ou étrangers) apparaissent et transforment petit à petit notre culture footballistique : réflexions partagées et ouvertes avec l’observateur sur le jeu, prise en compte du spectacle dans l’activité, critique de l’attentisme, modèle de jeu à tendance protagoniste quel que soit le budget du club, tous ces jalons idéologiques s’immiscent dans nos débats sur le football. Il s’agit ici, d’analyser cette incrémentation à travers une étude de cas portant sur 3 entraîneurs de Ligue 1. Les questions sont les suivantes : comment Franck Haise, Régis Le Bris et Paulo Fonseca tentent-ils de défendre un idéal de jeu « protagoniste » face à la meilleure équipe du championnat, le Paris-Saint-Germain ? Comment ces modèles de jeu se caractérisent-t-ils sur le terrain ?
N.B : en cas de première visite sur le site n’oubliez pas d’aller lire mon « idée clef », car elle est cruciale pour comprendre tout le site. Vous ne le regretterez pas.
Note au lecteur : Cette analyse s’appuie sur un échantillon de 3 matchs séquencés précisément : l’affrontement de Lens, Lille et de Lorient contre le Paris-Saint-Germain en Ligue 2022/2023. Ceci étant dit, et malgré les idées ici défendues, ce papier n’a ni prétention à l’exhaustivité, ni à la vérité absolue. Les prises de position étayées ici n’engagent donc que l’auteur de ces lignes. Enfin, les citations verbatim des entraîneurs n’auraient pas pu exister sans l’aide d’Alexandre Haddad. Qu’il en soit remercié. Crédits photo : iconsport. Les chiffres éventuels proviennent de la plateforme whoscored.com, Opta et Fotmob.com
LE CHEMIN VERS L’IDÉAL DE JEU : LA TENTATIVE INACHEVÉE DE RÉGIS LE BRIS
Précisons d’abord que ces entraîneurs sont loin d’être les seuls à être digne d’intérêt quant à l’analyse de l’implantation d’une culture football protagoniste en Ligue 1. Nous avons ici même insisté, par le passé, sur la qualité du travail opéré par Pascal Gastien à Clermont, ou par Jean Marc Furlan à Brest. Dans cette saison 2022-2023, le travail de Philippe Montanier à Toulouse, de Philippe Clement à Monaco, de Will Still à Reims, ou d’Igor Tudor à Marseille peuvent potentiellement s’inscrire dans une analyse du même type. Libre à ceux que cela intéresse de le démontrer. Il est donc indispensable de rappeler que les propos mis en ligne ici n’ont pas de prétention à l’exhaustivité.
Dans ce spectre d’entraîneurs, l’histoire de Régis Le Bris est celle de l’entraîneur « chercheur ». Son histoire personnelle est déjà riche d’indications, quant aux mutations dans les profils que l’on peut désormais trouver au plus haut-niveau du football français. C’est pourquoi, nous allons nous y arrêter quelques instants. Né en Bretagne, profondément attaché à son territoire, il réussit d’abord à gravir les échelons du professionnalisme en tant que jeune joueur du Stade Rennais. L’installation dans le groupe professionnel est difficile, et Régis Le Bris se décide à quitter le club pour le Stade Lavallois en deuxième division en raison notamment d’un faible temps de jeu dans un contexte très concurrentiel. Nous sommes au tout début des années 2000, et si le club de la Mayenne ne sera pas celui de l’éclosion pour le joueur breton, il est le lieu d’une rencontre importante : la création d’une relation entre lui et Franck Haise(5), que l’on retrouvera plus tard dans ce papier. De nouveau en échec au Stade Lavallois, il s’exile en Belgique, avant d’arrêter prématurément sa carrière de joueur, à 27 ans. Dans un entretien fleuve pour So Foot, il explique l’une des raisons derrière son arrêt précoce : « Or, quand j’étais joueur, il n’y avait pas forcément d’intentions dans toutes les phases de jeu. Ça finissait par un : « tu n’es pas performant. » Ok, mais comment je peux l’être davantage ? Pas de réponse. Certains entraîneurs étaient incapables d’argumenter, parce qu’il n’y avait, en réalité, aucune intention sous-jacente. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai vite arrêté. »(6)
En réalité, Régis Le Bris était, à 27 ans, déjà en train d’opérer une mutation. Une mutation cérébrale. La mutation d’une position immersive et exécutive vers une posture plus réflexive et organisationnelle. Cette mutation, c’est celle de l’éducateur contemporain. Pourtant, personne n’imaginait une reconversion « évidente » comme entraîneur, lui-même le concède : « Mon histoire personnelle s’est écrite au gré des rencontres, des opportunités. Je ne dirais donc pas qu’il y avait un plan préalable. Il y a des choses auxquelles à un moment donné, je suis sensible. Je pousse parce que ça me plait. C’est ça qui m’a amené vers l’entraînement. » (7). Docteur en STAPS, il présente une thèse sur « l’étude biomécanique de la course à pied » en 2006. Parallèlement, il s’investit dans la formation des jeunes à l’ES Wasquehal. Puis, tout s’accélère. Entraîneur dans les catégories de jeunes U15-U17-U18-U19 à l’échelon national pour Rennes et Lorient, il devient ensuite responsable du centre de formation du FC Lorient entre 2012 et 2022, année de sa prise de poste au sein de l’équipe professionnelle des Merlus.
Ce parcours, résumé en quelques lignes ici est intéressant à plusieurs titres dans le paysage du football français aujourd’hui. Il est celui d’un homme qui ne souhaitait pas forcément « se recycler par défaut », dans le poste d’entraîneur professionnel pour y faire « carrière ». Il est celui d’un homme qui assume une posture de chercheur, capable de s’écarter du tourbillon de la compétition quotidienne, pour réfléchir en termes de processus, et sur des échelles temporelles différentielles à l’image des demandes de la FFF exprimées depuis la fin des années 2010 dans les formations fédérales de premier niveau. Il est celui d’un homme qui utilise la conférence de presse, non pas comme une vitrine pour un « coup de gueule », mais proposer de véritables réflexions sur le jeu à l’observateur. En bref, il est à l’image de lentes et difficiles mutations qui semblent s’opérer dans les profils des entraîneurs de haut-niveau hexagonaux. Il est de ceux, qui, n’ayant pas peur de « verbaliser » leur passion pour le jeu auprès du grand public emmènent conséquemment l’observateur à se tirer vers le haut, à progresser et donc à développer une culture footballistique plus étoffée. Ces comportements se maintiendront-ils dans la durée ? Cela n’est-il qu’un écran de fumée ? Seul l’avenir nous permettra de trancher.
L’affrontement entre son équipe et le Paris-Saint-Germain le dimanche 6 novembre 2022 peut faire office de test sur sa capacité à assumer une posture protagoniste face à un adversaire bien plus fort que son effectif à tout point de vue. Comment, celui pour qui « le plaisir d’une sortie de balle, ça génère beaucoup de choses« (8) s’en est-il sorti face à un rapport d’opposition aussi complexe ? C’est à découvrir dans la vidéo ci-dessous :
LA DEUXIÈME ROUTE VERS L’IDÉAL DE JEU : L’AMBITIEUX TRAVAIL NON RÉCOMPENSE DE PAULO FONSECA
A l’image de Régis Le Bris, Paulo Fonseca c’est l’histoire d’un entraîneur qui a pu réaliser une carrière de joueur professionnel mais toujours dans l’ombre des projecteurs. Modeste défenseur central, il écume quelques clubs portugais de première ou deuxième division comme le CF Belenenses ou le Vitoria Guimaraes. S’il connaît les codes de ce monde particulier qu’est le football de haut-niveau, il ne peut aucunement utiliser une « légitimité » d’ancien « grand joueur » pour donner plus de poids à ses consignes, à son idéal de jeu. Comme l’entraîneur breton, la relation développée avec ses joueurs ne peut donc pas s’appuyer sur le registre de « l’autorité » ou de la « légitimité passée » mais sur sa capacité à fédérer de l’humain autour de sa vision de ce jeu, sur le terrain et en dehors.
Alors qu’il est entraîneur depuis 2007-2008 c’est lors de la saison 2012-2013 qu’il acquiert une véritable réputation nationale puis européenne. A la tête de Paços de Ferreira, il réussit l’incroyable pari d’emmener cette équipe anonyme à la troisième place du championnat portugais synonyme de qualification pour la Ligue des Champions. Surtout, il est célébré dans son pays comme un entraîneur capable de produire un alliage entre un football construit mêlant créativité et effectivité du résultat, tout en dirigeant une équipe à l’effectif très limité (Josué ? Diogo Figueiras ? Hurtado ?). C’est alors qu’il entraîne des clubs européens d’une envergure plus importante comme le FC Porto, l’AS Roma ou le Shaktar Donetsk avant d’arriver à Lille en 2022. Dans tous les clubs précédents, Paulo Fonseca a tenté (avec une réussite inégale) de maintenir l’idée d’un football offensif, créatif, où l’équipe arrivant sur le terrain, arrive pour dominer et non pour subir malgré des rapports de force défavorables.
Sa vision du football, l’entraîneur portugais a pu la dévoiler au public français lors d’une interview récente, pour le magazine So Foot de février 2023 (9). Comme Régis Le Bris, l’entraîneur du LOSC est critique vis à vis de sa pratique lorsqu’il était joueur et assume se sentir bien plus à l’aise comme entraîneur aujourd’hui : » De mon temps, le football était très physique, très basique. Personne ne m’a jamais parlé de la rotation du corps, du pied par exemple. Tous ces détails, j’en ai pris conscience en parlant avec d’autres entraîneurs, en discutant avec mes adjoints et en regardant beaucoup, beaucoup de matchs. (…) Franchement, je n’ai jamais été un grand footballeur. C’est peut-être pour ça que je ne suis pas nostalgique de cette époque d’ailleurs… Je préfère le rôle d’entraineur. »
Comme son acolyte français, c’est un entraîneur qui regarde et analyse beaucoup ce que font ses collègues, en France et à l’étranger, en quête d’inspiration, d’idées nouvelles sur le jeu. Sans illusions sur la réalité de son sport, celle d’un « champ »(10) concurrentiel où les places sont chères où l’on y fait carrière au sein d’une concurrence exacerbée, Fonseca reste un passionné du jeu, un observateur avisé du travail de ses collègues : « Guardiola a dit plusieurs fois qu’il était un voleur d’idées. Et tous les entraîneurs le sont en réalité. Et moi, j’observe particulièrement ce que font Guardiola, Arteta, Emery et De Zerbi. Ce sont des entraîneurs qui tentent toujours de faire évoluer le jeu. » Observer n’est pas copier et Paulo Fonseca insiste sur la nécessité d’adapter son modèle, ses idées aux particularités de son environnement : « les entraîneurs sont des voleurs d’idées, mais ils font souvent la même erreur : copier. On doit savoir si ce qui fonctionne dans d’autres équipes est valable dans la nôtre. Ce n’est pas parce que City joue comme ça ou comme-ci qu’il faut calquer tout ce qu’ils font. Ce n’est pas comme ça que ça marche. Les contextes, les caractéristiques des joueurs, les clubs sont complètement différents.« . Se nourrir des autres, pour développer son propre modèle, sa propre identité, celle d’un football dominant, celui souhaité par le LOSC lors de sa venue : « Mais ce qui a fait la différence, c’est le discours des dirigeants, leur désir de miser sur un football offensif. (…) Ici, la plupart des formations basent leur jeu sur des transitions offensives, des contre-attaques. En voyant ça, je me suis dis qu’il y avait moyen de donner un autre cap au LOSC, de le transformer en une équipe dominante. » Au moment de l’écriture de ces lignes, quelques statistiques peuvent donner de l’épaisseur à ce travail : 2ème du championnat en Expected Goals (52.2, juste derrière le PSG à 60), 2ème du championnat au nombre de tirs par match (6.0), Jonathan David en deuxième meilleur buteur du championnat, 2ème au nombre de passes (11), il est clair que cette équipe préfère manier le ballon que le laisser à l’adversaire.
Face à une équipe comme le PSG qui à l’habitude de marcher sur ses adversaires comment Paulo Fonseca s’y-est-il pris ? A-t-il réussi à associer les paroles et les actes ?
La vidéo ci-dessus rappelle, si besoin était, que le score peut s’avérer très trompeur sur la réalité d’un rapport de force sur un terrain de football. Rien ne remplace le match « en vivo » même si quelques statistiques(12) peuvent apporter aussi un autre éclairage. En termes d’xG (3.65 pour 1.68 côté lillois), de « Big Chances » (9 PSG pour 3 LOSC) ou de taux de conversion (43% contre 6% côté lillois), le Paris-Saint-Germain reste largement au-dessus. Ces derniers ont proposé une prestation offensive de haut-vol marquant dès le coup d’envoi d’une combinaison magistrale, puis sur du jeu dans des petits espaces, sur du jeu en profondeur sur un harcèlement mal négocié par les joueurs du nord, bref, les Parisiens restent une « classe » au-dessus. Néanmoins, les Lillois ont su démontrer qu’il était possible de s’approprier le ballon tout autant que les champions de France (499 passes pour 541 côté PSG), qu’il était possible de tirer aussi fréquemment (16 tirs chacun), qu’il était possible d’envahir leur propre camp et ainsi de rivaliser aux tacles réussis (5 pour 8 PSG), aux interceptions (15 contre 5) et dans les duels aériens (50% de réussite chacun).
Ainsi, ce 7-1 concédé face au PSG, est-il une mise en échec totale du modèle de jeu prôné par l’entraîneur portugais ? Lui, ne renonce pas, car il est capable, comme son collègue Régis Le Bris d’utiliser le « résultat » non comme l’unique maître étalon mais comme une variable, importante mais non « vampiristante » de l’analyse du jeu : » Ce soir, tout le monde a retenu le nombre de buts qu’on a encaissés. Mais dans le jeu, on a proposé de belles choses. Et je crois me souvenir qu’on a frappé 16 fois au but. Pour les coachs, ce qui importe vraiment, c’est le signal qu’on envoie aux joueurs. Si je crois vraiment dans ce que je fais, je ne peux pas me pointer dans le vestiaire et dire : « bon les gars, aujourd’hui on joue le PSG et on va défendre », si j’avais fais ça vous imaginez ce qui ce serait passé dans leur tête ? Il y a un mot qui est fondamental : le courage.«
Pour conclure ce point, quelques mots sur les différences d’approche entre Régis Le Bris et Paulo Fonseca. L’entraîneur breton a fait le choix d’une approche plus prudente dans la mesure où ils n’ont pas pu proposer des séquences de sorties de balles ou d’attaques placées aussi poussées et aussi fréquentes. Pour autant, le FC Lorient a su être plus dangereux dans leurs temps de possession, plus tranchants en phase de finition que leurs homologues lillois (barre transversale touchée par Moffi depuis un tir dans la surface par exemple). De plus, ces analyses montrent deux manières différentes de faire mal au Paris-Saint-Germain, deux manières fondées sur les qualités fortes des joueurs dans le modèle de jeu : le jeu dans les couloirs pour les Merlus et l’ouverture de la profondeur depuis son propre camp pour le LOSC (entre autres…). Quant aux moments sans ballon et aux transitions, là encore il y a des choix intéressants à comparer. Lorient a priorisé la fermeture de la profondeur tout en poussant les Parisiens à attaquer dans des espaces très réduits mais très proches du but de M’Vogo. Régis Le Bris, fidèle à la « tradition » lorientaise s’est appuyé sur une défense de zone. Les Lillois ont fait l’inverse : aller défendre le plus loin possible de son but, par des marquages individuels ou mixtes, laisser beaucoup d’espaces derrière soi en comptant sur la qualité de pressing pour empêcher tout jeu profond puis transitionner très proche du but parisien. A contrario, Ouattara, Moffi, Le Fée, ont dû, côté Lorientais, gagner de nombreux mètres depuis leur camp pour poser problème au PSG sur attaque rapide. Malheureusement, ces deux configurations ont montré leurs limites. Malgré deux modèles de jeu ambitieux, protagonistes, ni Régis Le Bris, ni Paulo Fonseca n’ont su décrocher un résultat positif face aux hommes de Galtier. Comment Franck Haise a-t-il pu, réussir ce pari, et proposer un match plein récompensé par les 3 points ?
LA TROISIÈME ROUTE VERS L’IDÉAL DE JEU : LA CONSÉCRATION DU TRAVAIL BIEN FAIT PAR LES JOUEURS DE FRANCK HAISE
Franck Haise, partage, comme ces prédécesseurs ci-dessus, des similarités dans le parcours de joueur puis d’entraîneur. Il a suivi une trajectoire qui l’a mené jusqu’au monde professionnel, mais sans jamais atteindre le plus haut niveau de pratique. Formé à Rouen, il effectue la plupart de sa carrière en Ligue 2, au Stade Lavallois, à Beauvais puis à Angers. Comme Régis Le Bris ou Paulo Fonseca, il est un joueur au registre plus défensif, puisque il réalise l’ensemble de sa carrière en tant que milieu défensif ou défenseur latéral gauche. S’il dispose de qualités footballistiques certaines, c’est sur le socle d’immenses qualités humaines qu’il s’impose dans les différents effectifs qu’il fréquente. Hervé Gauthier, Laurent Viaud, ces anciens entraîneurs de l’époque ne tarissent pas d’éloges : « Avec Franck j’ai vite trouvé dans le vestiaire un garçon extraverti, jovial, très pro et agréable à entrainer avec beaucoup de joie de vivre et une top mentalité. (…) aussi humain dans la vie qu’engagé sur le terrain (13) ». Contrairement à Régis Le Bris, sa fibre « d’entraîneur » est plus facilement perceptible pour son entourage. Franck Haise est très vite curieux quant aux entraînements. Lorsqu’il était joueur de Laval, son coach, Denis Troch a beaucoup échangé avec lui sur ce point (14). Lorsqu’il débute sa carrière d’entraîneur il est encore joueur puisque à l’époque, lorsqu’il reprend l’équipe du Stade Mayennais, en 2003, il le fait sous l’étiquette désormais plus désuète de « l’entraîneur-joueur ».
A l’image de l’entraîneur breton, son parcours d’entraîneur s’effectue dans un bassin régional assez restreint entre la Mayenne et la Bretagne en passant bien sûr par tous les pays de la Loire. Stade Mayennais jusqu’en 2006, puis le Stade Rennais jusqu’en 2012, puis le FC Lorient jusqu’en 2017 avant d’atterrir dans le Nord au RC Lens. Durant ce parcours, où il retrouve à de nombreuses reprises son collègue devenu adversaire, Régis Le Bris, Franck Haise rencontre d’innombrables personnalités qui l’influencent et forgent son identité football. Grâce au journal l’Equipe du samedi 4 mars 2023(15), il donne lui-même des pistes sur ce sujet. Par exemple, il explique l’importance de Daniel Zorzetto, son formateur au centre de formation de Rouen quant au développement de son goût pour l’entraînement : « il savait que j’avais cette fibre d’éducateur, cette volonté d’entraîner.(…) C’est avec lui que j’ai commencé à faire des séances plus élaborées, avec beaucoup de jeux, une notion de plaisir. » Franck Haise, s’est aussi inspiré d’entraîneurs qui ont forgé son admiration tel Arsène Wenger : « Par son parcours, sa longévité, Arsène Wenger est quelqu’un d’inspirant. Ce qu’il a fait pendant vingt-deux ans à Arsenal est exceptionnel. Au-delà des qualités de l’homme et de l’entraîneur il faut aussi avoir une vraie vision de ce que va être le club dans trois ans, cinq ans« . Enfin, beaucoup de ses collègues entraîneurs qu’il rencontre durant son parcours à Rennes ou à Lorient l’ont marqué de par leur degré d’exigence, leur connaissance du métier au premier rang duquel il y a Régis Le Bris lui-même : « On avait travaillé ensemble six ans au Stade Rennais et il est venu me chercher à l’US Changé un an après avoir pris la tête du centre de formation du FC Lorient.(…) Avec Régis c’est une inspiration mutuelle, il est capable d’avoir beaucoup d’idées en même temps, de les structurer et de les mettre en place avec une vraie vision. »
Si ces quelques lignes permettent de mieux comprendre la genèse de Franck Haise, c’est au RC Lens qu’il se forge une réputation d’entraîneur de haut-niveau. Arrivé en équipe réserve, il prend la suite de Philippe Montanier (aujourd’hui à Toulouse dans une équipe elle aussi très intéressante à suivre) et développe un football complet, qui lui permet d’accéder à la Ligue 1 durant la saison 2020/2021. L’année suivante, il dépasse l’objectif du club et de très loin : 7ème du championnat, il réjouit les observateurs, et en s’appuyant sur une cellule sportive très clairvoyante, permet la mise en avant de joueurs d’immenses qualités à comme J.Clauss, S.Fofana (arrivé de l’Udinese), ou encore plus récemment de S.Abdul Samed (Clermont Foot), L.Openda, J.Gradit et consorts. Tout cela est permis par un modèle de jeu très abouti, dont la progression est fulgurante puisque elle amène aujourd’hui le RC Lens aux portes de la Ligue des Champions, à la 3ème place de Ligue 1.
Si ce modèle de jeu a été analysé par de nombreux observateurs de qualité(16), il s’agit ici de s’intéresser à la performance lensoise contre le PSG . Celle-ci en mobilisant des ingrédients d’ordre « protagoniste », s’est soldée par, à la fois une performance collective de haut-vol mais aussi un résultat positif. Tentative d’explication ici :
Statistiquement (17), les chiffres viennent étayer et illustrer ce match exceptionnel réalisé par le RC Lens : les hommes de Franck Haise dominent aux xG (1.76 pour 1.62), aux « Big chances » (3 pour 2) au taux de conversion (30% pour Lens et 6% seulement pour le PSG). La vidéo le souligne déjà, mais quelques données viennent appuyer la qualité du moment sans ballon du RC Lens : plus de tacles (16 pour 5), plus d’interceptions (11 pour 6), plus de duels gagnés tant au sol (52% des 40 duels pour 48% des 37 duels parisiens) que dans les airs (62% des 8 duels aériens contre 38% des 5 duels parisiens). En somme, un modèle de réussite.
De prime abord, le football protagoniste semble assez difficile à définir. Pourtant, le regard sur un échantillon de matchs réduit du RC Lens, du LOSC et du FC Lorient, permet d’en déceler les grandes caractéristiques. Jouer sans peur, aller provoquer l’erreur, vouloir dominer plus que spéculer, défendre en avançant plus qu’en reculant, peuvent en être quelques propriétés. Mais le football protagoniste c’est d’abord une vision, une représentation au sens presque philosophique du terme. Une vision globale du football, non restrictive mais relationnelle, c’est à dire prenant en compte l’ensemble des acteurs qui forment ce jeu, du directeur sportif, en passant par l’entraîneur, les joueurs et surtout les spectateurs. Une vision qui s’inscrit ensuite dans une pratique de ce jeu, dans des « actions » concrètes sur le terrain. Le FC Lorient, Le LOSC, le RC Lens, chacune de ces équipes est habitée par un modèle de jeu spécifique construit étroitement autour d’une relation clef : idéal de jeu – caractéristiques du groupe – rapport d’opposition hebdomadaire. Jamais totalement abouti, l’idéal de jeu (18) permet à l’entraîneur de dépasser la vision primitive d’un sport où seul le résultat, le gagnant aurait un intérêt. Dans une activité profondément humaine, et aujourd’hui très compétitive, le résultat est une variable, déterminante certes, mais qui ne peut rendre compte à elle seule de tout ce qui se joue dans un match de football. Ainsi, Il serait peut-être sain que les éducateurs au plus haut niveau prennent la mesure de l’influence de leur pratique sur le pré, de leurs discours publics, sur tous les échelons inférieurs du football français, du joueur de l’école de football, en passant par l’éducateur fédéral jusqu’à l’observateur installé sur son canapé. C’est alors que nous pouvons remercier Franck Haise, Régis Le Bris, et Paulo Fonseca, qui, petit à petit, implantent cette vision protagoniste à travers les performances collectives de leur équipe. C’est alors que cette idée devient « culture », c’est alors que cette culture devient esprit, c’est alors que cet esprit change les pratiques. Tel est le destin d’une idée controversée.
SOURCES :
1/ Citation verbatim de Didier Deschamps à retrouver ici : https://www.republicain-lorrain.fr/sport/2021/08/30/exclusif-didier-deschamps-je-donne-toujours-le-merite-a-celui-qui-gagne
2/ Citation verbatim d’Antoine Kombouaré le 12 février 2023 dans l’Equipe.
3/ Citation verbatim de Pablo Correa, datée de l’année 2007.
4/ Lire, DIETSCHY, Paul, Histoire du football, Paris, Perrin, 2014. Pour mieux comprendre l’histoire « culturelle » du football français lire l’excellent ouvrage de T.Leplat, « Football à la Française », Solar, 2016 et écouter l’excellent podcast « Formation Football Club » : https://open.spotify.com/episode/4bvS1s8ZPWSp7UczYNv2Su?si=909103bf0ae1481d&nd=1
5/ Pour mieux comprendre la genèse d’une relation forte entre Franck Haise et Régis Le Bris voir cet article : https://www.sofoot.com/articles/franck-haise-regis-le-bris-les-origines
6/ L’intégralité de l’interview est à retrouver dans le magazine suivant : https://telecharger-magazines.com/sport/so-foot-n204-mars-2023.html. Les citations suivantes sont, sauf mention explicite du contraire, issues de cette interview.
7/ Ibid.
8/ Ibid.
9/ L’intégralité de l’interview est à retrouver dans le magazine suivant : https://telecharger-magazines.com/sport/so-foot-n203-fevrier-2023.html . Les citations suivante sont, sauf mention explicite du contraire, issues de cette entretien.
10/ Sur la théorie des champs, développée par Pierre Bourdieu voir, entre autres : https://www.mollat.com/livres/2234989/pierre-bourdieu-sociologie-generale-vol-1-cours-au-college-de-france-1981-1983 , https://www.raisonsdagir-editions.org/wp-content/uploads/2021/12/Fiche_Microcosmes-1.pdf
11/ Voir les statistiques ici : https://www.fotmob.com/leagues/53/stats/ligue-1/teams
12/ Voir l’ensemble des statistiques ici : https://www.fotmob.com/match/3904412/matchfacts/lille-vs-paris-saint-germain et https://fr.whoscored.com/Matches/1643729/MatchReport/France-Ligue-1-2022-2023-Lille-Paris-Saint-Germain
13/ Voir l’article So Foot précédemment mentionné : https://www.sofoot.com/articles/franck-haise-regis-le-bris-les-origines
14/ Voir l’article de Clément Lemaître, « Franck Haise : Portrait de l’entraîneur lensois avant Lens-Rennes (4e journée de Ligue 1) sur Eurosport »
15/ Pour retrouver l’ensemble des journaux papiers édités : https://www.lequipe.fr/abonnement/kiosque/le-journal . L’ensemble des citations ci-dessous sont issues de cet article.
16/ Voir les coups de cœur tactique de Florent Toniutti notamment sur Lens : https://twitter.com/Ligue1UberEats/status/1627726916483706880?cxt=HHwWgMDThbXA7JYtAAAA
17/ Voir les 2 liens suivants : https://www.fotmob.com/match/3904657/matchfacts/lens-vs-paris-saint-germain + https://fr.whoscored.com/Matches/1643972/MatchReport/France-Ligue-1-2022-2023-Lens-Paris-Saint-Germain
18/ Voir la masterclass proposée par Pierre Sage sur ce sujet : https://nosotrosxp.com/entretien-avec-pierre-sage/