le FCN de Coco Suaudeau 1994-1996 : le protagonisme made in France

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Aujourd’hui comme hier, les clubs français semblent en difficulté lorsqu’il s’agit de les associer à une identité de jeu ancrée historiquement. Nous cherchons toujours quel club français pourrait s’ériger en référence de jeu sur la scène hexagonale et européenne, titres à l’appui. En effet, au-delà des supporters, qui

cherche à regarder les matchs de l’Olympique de Marseille de 1993, pourtant montés sur le toit de l’Europe ? Qui se prétend dans la lignée de Raymond Goethals ? L’Olympique Lyonnais est sans contestation une référence française au niveau européen. Malgré son immense domination des années 2000, et la qualité de sa formation, y-a-t-il un référentiel de jeu qui se dégage de cette équipe dans son histoire récente ? Quid du grand Saint-Etienne des années 70 ? Tenter de répondre à cette question, vaine pour certains passionnés pour qui seules comptent les lignes de palmarès, c’est entrer dans les profondeurs de notre football. Dans les entrailles de cette immense machine, une lumière jaune resplendit. C’est celle du FC Nantes ! Tous les amoureux de football savent que ce club est associé à une identité de jeu célèbre, le fameux « jeu à la nantaise », validé par les « tarifs maison » sous l’impulsion du grand Jean Claude Suaudeau. Mais qu’y-a-t-il derrière cette expression, connotée positivement sous le prisme du spectacle, de l’émotion et de l’offensive mais souvent mal comprise ? N’est-ce qu’une fumisterie médiatique ? A travers deux saisons : 1994-1995 et 1995-1996, Beautyfootball essaie ici de revenir au plus près de la réalité de ce football qui a tant marqué les esprits sans pour autant qu’on sache vraiment le définir aujourd’hui.

N.B : en cas de première visite sur le site n’oubliez pas d’aller lire mon « idée clée », car elle est cruciale pour comprendre tout le site. Vous ne le regretterez pas! 

COMPOSITION ET ANIMATION

Durant les saisons 1994-1995 et 1995-1996 l’équipe de Jean Claude Suaudeau subit assez peu de modifications notamment au niveau de son épine dorsale. Une quinzaine de joueurs sont dans la rotation et deux départs majeurs sont à noter entre 1994 et 1996 : Patrice Loko et Christian Karembeu.

SAISON 1994-1995

SAISON 1995-1996

Cette stabilité de deux saisons représente l’un des premiers ingrédients de la réussite. Le groupe vit bien et la « cellule du milieu » dixit Suaudeau pérennise les consignes : « C’étaient 5-6 joueurs, au milieu, qui entraînaient les autres. Ceux-là, on ne les choisissait pas n’importe comment. Ils étaient les garants de nos principes. Et j’étais très exigeant avec eux. » (à noter, la plupart des citations de Jean Claude Suaudeau sont issus de l’excellent magazine Vestiaires, numéro 64 de mai-juin 2015 et du formidable entretien avec l’entraîneur qui fut mené).  D’autres part, la majorité des joueurs sont au club depuis leur adolescence, ce qui leur a permis d’être véritablement biberonné aux principes de l’école de formation nantaise.

Car, l’une des premières erreurs que l’on commet lorsqu’on évoque le « jeu à la nantaise » c’est de croire qu’il naît avec Jean Claude Suaudeau, qu’il meurt à son départ et que sa forme est un ensemble d’idées immuable et homogène.  La méthode et l’identité du FC Nantes de cette époque est d’abord redevable à l’immense travail de fond effectué par José Arribas, premier entraîneur du FCN lorsque ce club découvre l’élite et se retrouve champion dès la deuxième saison (1964-1965). Jean Claude Suaudeau, qui a été son joueur, n’oublie pas cet héritage qu’il a lui-même transformé : « J’ai eu le bonheur de travailler sous ses ordres, puis de le côtoyer en tant qu’entraîneur, lui en pro, moi chez les jeunes. José, c’était la répétition des gammes. Les passes, le jeu sans ballon et la notion de collectif nous caractérisaient déjà à cette époque. ».  Les années 60-80 ce sont aussi les moments de construction de l’embryon du centre de formation et l’entrée dans l’organigramme de personnalités majeures : Robert Budzynski, Jean Vincent, entre autres.

Rappeler ces éléments de contexte s’avère indispensable lorsque l’on veut comprendre l’histoire de cette équipe entre 1994 et 1996 et ces formidables épopées en championnat et en ligue des champions.

Note au lecteur : Etant donné que nous sommes dans l’analyse de matchs assez anciens, la qualité de la vidéo et donc des images sélectionnées n’est pas toujours optimale. Merci pour votre clémence. Remercions tout de suite le support footballia.net sans qui rien ne serait possible.

L’OBSESSION DU BUT DU FC NANTES : VERTICALITÉ ET PRISE DE RISQUE AU SERVICE DU COLLECTIF

L’une des erreurs majeures qui est faite au sujet du FC Nantes de 1995 et du label « jeu à la nantaise » qui est en issue, c’est de l’associer maladivement à une idée commune du « beau football », celui d’un jeu de possession ou pire celui d’un jeu de position tel qu’il fut répandu à une époque en Espagne notamment à Barcelone. Si le FC Nantes permet d’apporter une nouvelle pierre au débat sur le « beau jeu », c’est bien pour rappeler qu’il n’y a pas qu’un seul beau football, mais bel et bien plusieurs. Le « beau jeu » c’est d’abord un football protagoniste, puis une question d’émotions suscitées chez le spectateur, qui verra des merveilles techniques surprenantes réalisées par des joueurs en harmonie s’exprimant dans un espace réduit et dans une crise de temps. Effectivement, si Jean Claude Suaudeau partage un amour invétéré pour la passe, les jeux de déplacement, le développement d’un QI football, et l’exercice du toro, l’animation de son équipe sur le terrain ne ressemble aucunement à une adepte du « Toque ». Pour lui : « garder le ballon le plus longtemps possible, c’est une maladie du jeu d’aujourd’hui. » (discours extrait du dossier So Foot sur le FC Nantes de 1995 disponible ici : www.sofoot.com/nantes-1995-les-canaris-de-coco-201910.html).

Le constat est clair et visible à l’écran : techniquement son effectif n’est pas homogène. Entre l’élégance d’un Japhet N’Doram et la fougue d’un Capron il y a un monde. Christian Karembeu corrobore cette idée : « Techniquement, on était loin du compte, il fallait qu’on surprenne. ». Le déchet technique de cette équipe lorsqu’elle est en possession du ballon est effectivement très impressionnant. Mais Jean Claude Suaudeau l’a bien compris : le déchet technique est-il si grave lorsque chaque joueur passe en moyenne 2 minutes avec le ballon et 88 minutes sans le cuir ? C’est pourquoi, il s’intéresse à créer des cheminements de passe relativement simples et surtout à valoriser une grande qualité de ce groupe : la capacité à réaliser et multiplier les courses pertinentes au bon moment et au bon endroit ! Comme il le répète : « la simplicité c’est le génie (…), A Nantes, l’équipe avait une grande aptitude à la course (…) nous nous appuyions sur un gros réservoir aérobie (…) au niveau de la vitesse, des changements de rythme, du pressing, du jeu sans ballon, c’était génial. On faisait des séquences courtes mais d’une intensité incroyable. » Toutes ces idées fortes sont bien visibles à l’écran notamment lorsqu’on décortique quelques séquences comme les  sorties de balle :

(Casagrande dans les buts vient de récupérer la sphère. Il pourrait choisir de repartir court avec son coéquipier qui se propose côté. Il préfère très souvent la solution longue).

(Le 4-3-1-2 de Suaudeau permet de présenter un grand nombre de joueurs dans l’axe proches les uns des autres. Grâce à leurs qualités physiques, ils peuvent gratter énormément de ballons dans les airs ou à la retombée. Ici, les 3 Nantais remportent le 3 c3 dans leur cœur du jeu contre les 3 Monesgasques. Patrice Loko anticipe et se prépare à attaquer l’espace.)

(Loko a ajusté avec beaucoup d’intelligence sa course pour réaliser un appel plus efficace qui lui permettra de réceptionner la passe de Cauet. Il s’est déporté dans l’angle mort des défenseurs qui ne peuvent suivre du regard à la fois le porteur de balle et Loko dans leur dos. L’attaquant nantais est dans une position idéale pour créer le danger. Et effectivement, en 3 passes, Loko se retrouve face au gardien adverse.)

Cependant, une équipe qui arrive en demi-finale de la ligue des champions n’est pas réellement malhabile avec ses pieds :

(Le Dizet récupère le ballon côté gauche et va chercher une solution au sol sans sauter de ligne.)

(Le Dizet a réussi à trouver Ferri dans l’axe, qui contrôle et se prépare à donner à Makélélé sous la pression pourtant insistante de son adversaire.)

(Makélélé est face au jeu dans l’axe. N’Doram réussit à se démarquer par un léger décrochage non suivi par l’opposant. A ses côtés, Ferri, au départ de l’action continue sa course pour attaquer l’espace libre devant lui.)

(Grâce aux déplacements combinés effectués dans le bon timing, associés à une solide qualité technique, N’Doram peut remettre en 1 touche à Ferri, qui se retrouve seul pour attaquer l’espace et créer du danger.)

Autour de leurs deux leaders techniques que sont Japhet N’Doram et Raynald Pedros les Nantais sont capables de varier leurs sorties de balle en proposant un jeu propre et au sol. Cette séquence illustre aussi à merveille quelques principes clés du coach comme la permutation et le démarquage. Par exemple, Makélélé se retrouve sur ces images, plein axe, alors qu’il a l’habitude d’occuper le couloir droit. Pour Suaudeau, aucune importance : « Quand j’ai pris l’équipe, j’ai beaucoup insisté sur cette capacité à changer de rôle. On avait certes, des positions de départ, qui étaient des repères, mais on évoluait ensuite librement. » . De plus, on observe aussi à l’écran la capacité de Ferri, grâce aux mouvements collectifs, d’attaquer un espace libre, une notion fondamentale et très travaillée à l’entraînement : « Très peu cherchent à être un leurre, découvrant un espace pour qu’un partenaire puisse s’y engager et mieux la recevoir. Recherche du joueur libre ? Non. Recherche du joueur lancé ? Non. C’est recherche du joueur lancé dans un espace libéré !  »

De surcroît, le déchet technique important qui parfois saute aux yeux à l’écran s’explique aussi par la volonté obsessionnelle de jouer vers l’avant, en 1 touche de balle, d’attaquer les espaces à plusieurs, bref, de laisser tant que possible la balle dans le camp adverse. Le moment est alors idoine, pour mieux agresser, tout le contraire de ce que l’on peut voir dans le City de Guardiola  ou le Chelsea de Sarri, qui s’efforcent d’attirer l’opposant jusqu’à leurs gardiens pour mieux les déstabiliser. Encore une fois, ce serait un anachronisme d’associer « le jeu à nantaise » réputé spectaculaire avec toutes les séquences spectaculaires du football d’aujourd’hui.

Pour autant, les séquences d’attaques placées s’avèrent aussi très travaillées :

(Le Dizet réalise une touche plein axe pour Ferri, hors de l’écran qui se prépare à attaquer le ballon. Les deux joueurs de la Juve sont prêts à jaillir.)

(Ici, Ferri joue très bien le coup, puisque il attend le dernier moment et fixe son adversaire pour pouvoir ainsi libérer Gourvennec, seul dans l’axe. A noter la position du corps du futur receveur quasiment de ¾ pour pouvoir gagner du temps sur son contrôle et valider un éventuel décalage.)

(Grâce à l’appel de Ouédec entre le défenseur latéral entouré en rouge et le défenseur central, hors champ, le FC Nantes réalise un premier décalage dangereux)

(Grâce à son appel intelligent entre le latéral et le défenseur central, ici entouré en rouge, il prend de vitesse ces deux opposants suite à la passe de Gourvennec. C’est l’occasion de porter le danger par une frappe dans les buts de Peruzzi).

Les Nantais savent aussi quand il le faut contourner les blocs défensifs adverses en les attirant d’un côté pour mieux les déstabiliser de l’autre. L’exemple est ici criant :

(Ferri vient de réceptionner le ballon dans l’axe et décide après avoir gagné quelques mètres, d’écarter sur Le Dizet.)

(Le Dizet remet à Ferri qui continue son action, alors qu’il dispose d’un peu de temps devant lui avant de se faire agresser par le milieu de la Juventus.)

(Ferri absorbe la pression et élimine son vis-à-vis d’un superbe crochet.)

(Après avoir transpercé une ligne il s’en va fixer un deuxième adversaire et joue en appui autour de Ouédec qui lui remet en une touche.)

(Ferri remet à Ouédec qui lui a auparavant servi d’appui. Celui-ci, par son décrochage et son jeu en remise, a pu se retrouver face à au jeu. Il s’agit maintenant de finaliser le décalage.)

(Alors que Pedros s’est recentré pour ouvrir l’espace dans son dos à son latéral Chanelet en haut à droite, tout semble prêt pour s’offrir une grande occasion de but sur cette attaque placée : malheureusement la passe de Ouédec dans l’espace ne sera pas effectuée dans le bon tempo et aboutira sur un hors-jeu de Chanelet).

A l’image de cette attaque placée, les Nantais sont capables d’exceller dans ce registre pour se présenter le plus souvent possible dans la surface adverse. La participation des latéraux permet de nombreux centres. La présence de nombreux joueurs dans l’axe grâce au losange du 4-3-1-2 ainsi que les fréquentes projections des milieux permet de créer beaucoup de situations de frappe aux 20 mètres.

L’observation du football pratiqué par les joueurs du Pays de la Loire permet de constater que ces derniers ont très souvent un temps d’avance sur leurs adversaires. Ce temps d’avance associé à la quantité de joueurs impliqués dans le jeu sans ballon, à travers des appels dans le vide qui sèment la panique chez l’adversaire permet de créer énormément d’occasions de buts. La connaissance que chacun a du partenaire est l’une des clés de ce « jeu à la nantaise ». Qui mieux que Serge le Dizet pour le confirmer : « Je crois que je faisais simplement partie d’une équipe portée vers l’avant. Un des mots essentiels qu’on nous rabâchait, c’etait l’anticipation. (…) Mon crédo, c’était un peu ce que disait Jean Claude Suaudeau : avoir un temps d’avance dans la réflexion, et donc avoir un temps d’avance dans la réalisation. C’était valable en défense comme en attaque. On avait une telle connaissance du partenaire… On savait ce qu’il allait faire dans n’importe quelle situation. Comme on était bon techniquement et physiquement on allait plus vite que l’adversaire. Quand je voyais Patrice Loko demander le ballon à gauche, bah, je lui mettais à droite par exemple. Parce que je savais que lorsqu’il partait à gauche, il la voulait à droite. Ce sont des choses qui se répètent, qui se travaillent. Pour moi le jeu à la nantaise, c’était avant tout de l’intelligence collective. » (Interview complète de Serge Le Dizet disponible ici : https://www.sofoot.com/le-dizet-le-jeu-a-la-nantaise-c-etait-du-bonheur-433729.html)

Cette intelligence collective se manifeste aussi dans la phase défensive et les transitions, qui sont les situations où les Nantais sont les plus impressionnants.

LA PHASE DÉFENSIVE DU FCNA : ASPHYXIER ET SE PROJETER

« L’état d’esprit d’une équipe se manifeste dans sa manière de récupérer le ballon. C’est là qu’on voit sa mentalité, sa combativité, sa réflexion… » Pour Jean Claude Suaudeau, cette phase de jeu est au moins aussi importante que la phase offensive. Là encore, il s’appuie d’abord sur les ressources proposées par ses joueurs : un volume de course impressionnant partagé par tous, une implication collective et surtout un grand sens de l’anticipation pour jaillir dans les pieds de l’adversaire et entamer une contre-attaque aussitôt.

Globalement, Jean Claude Suaudeau exige de ses joueurs une alternance entre des séquences de pressing haut et des séquences plus médianes où il s’agit d’attirer l’adversaire dans l’axe, là où la densité de joueurs nantais est la plus importante, ce qui permet de repartir très vite vers l’avant, dans le dos des adversaires.

(Sur cette image, on voit le cadrage de l’adversaire par Ferri alors que ses coéquipiers se rapprochent de lui pour finaliser d’enfermer l’adversaire. Dans le 4-3-1-2 les 7 premiers joueurs sont très compacts, alors que les joueurs offensifs sont plus hauts et sont là pour orienter les passes vers l’intérieur, sans forcément revenir très bas).

(Une image pour illustrer la polyvalence défensive du FCN. Si la situation le demande, ils sont capables de moduler le 4-3-1-2 en 4-4-2 à plat classique afin de mieux occuper la largeur.)

(8 joueurs de Nantes sont côte à côte pour défendre dans un petit périmètre autour de la surface de réparation. Makélélé est à l’origine de l’attaque rapide, et lance immédiatement Benoit Cauet.)

(Cauet remonte le ballon sur plusieurs mètres alors que la défense portugaise défend en reculant : c’est la situation parfaite pour les joueurs nantais. Ces derniers se projettent avec beaucoup de joueurs et notamment Pédros qui joue le rôle de l’attaquant. Il attaque parfaitement l’espace entre le latéral et le central. Cauet peut le servir sur un plateau.)

(Dans cette situation Pedros est presque imblocable. En 1 contre 1 face au défenseur portugais, il fait la différence sur sa prise de balle et s’en va défier le Vitor Baia. Cela fait but pour Nantes.)

« Les joueurs les plus proches du porteur devaient manœuvrer de façon à ce que d’autres récupèrent derrière dans les meilleurs conditions. » Cette séquence illustre bien l’idée force de Coco Suaudeau lorsqu’il insiste sur la défense collective et l’idée de pouvoir « repartir » derrière. Tous les joueurs offensifs sont de véritables génies de la prise d’espaces : ils savent où aller, quand y aller, et mettent toujours leurs qualités de passes  en évidence.

(Sur un corner, le défenseur écarte le ballon de sa surface et cherche Pedros resté seul devant.)

(Pedros, face à deux joueurs portugais, réussit à conserver le ballon, et s’oriente immédiatement vers le côté gauche. Son objectif : gagner du temps et attirer ses opposants à gauche pour ouvrir l’axe.)

(Objectif rempli puisque il permet à Kosecki d’attaquer l’espace libre, en rouge. La qualité technique du numéro 8 fait toute la différence, car c’est une passe entre les jambes de son vis-à-vis qui illumine le jeu)

(Kosecki se retrouve en 1 contre 1 face au gardien alors que les joueurs de Porto sont complètement dépassés. A notez l’effort colossal de Makélélé qui se propose à ses côtés alors qu’il est parti depuis sa propre surface de réparation.)

Cette obsession de la verticalité se retrouve dans toutes les attaques rapides. En 2 ou 3 passes les joueurs offensifs nantais sont souvent mis dans d’excellentes dispositions. L’habileté fait le reste.

A l’image de son prédécesseur José Arribas, Coco Suaudeau préfère voir son équipe défendre en zone, sans pour autant être « radical » sur ce point. Il n’est pas rare qu’il exige un marquage individuel dans certains matchs et face à certains joueurs. Le cas de Monaco et d’Enzo Scifo illustre bien cette théorie :

(Enzo Scifo, l’un des dépositaires du jeu de Monaco se balade dans le cœur du jeu. Il est suivi par Makélélé, entouré, alors que N’Doram est redescendu et que Loko a pris la place de Makélélé à droite.)

(Makélélé qui normalement défend le côté droit ou au moins l’axe droit, se retrouve presque à gauche en tant que défenseur supplémentaire. Il a pour consigne de suivre Scifo comme son ombre. Ses coéquipiers n’oublient pas de compenser pour lui.)

La défense en individuelle concerne aussi fréquemment Eddy Capron, qu’on voit souvent s’incorporer jusqu’au milieu puisque il suit souvent son vis-à-vis pour mieux jaillir devant lui lorsqu’il est la cible d’une passe. La forme défensive d’un libéro accompagné d’un stoppeur n’a pas complètement disparu avec Suaudeau. Cette alternance entre marquage individuel et marquage de zone permet de récupérer des ballons dans toutes les endroits du terrain. Et les attaques rapides sont tout aussi redoutables lorsqu’elles partent sur les côtés. Les projections des latéraux et les combinaisons qui les accompagnent peuvent faire très mal aux défenses adverses. L’entraîneur avait une consigne bien précise sur ces phases là : « Je demandais à ce que la première touche de la récupération soit jouée vers l’avant et si possible sans contrôle. »

(Cauet récupère le ballon plein axe : il cherche immédiatement vers l’avant comme le montre sa tête bien levée.)

(Il trouve un relais avec Ouédec qui a encore décroché. Celui-ci peut servir Pignol qui commence sa projection.)

(Pignol cherche de nouveau dans l’axe pour Ouédec qui continue son action. Gourvennec laisse d’ailleurs passer le ballon avec beaucoup d’intelligence. Une nouvelle fois, chaque passe d’un Nantais est suivi d’un appel vers l’avant, d’une prise d’espace comme le montre Pignol qui poursuit son action.)

(Ouédec le sert dans la course pour finaliser l’action dans la surface adverse. Gourvennec et Kosecki sont déjà en mouvement pour occuper la surface de réparation.)

La coordination et la multiplication des mouvements rend le jeu nantais très difficile à lire pour l’adversaire. Les fameux « passe et va » et « passe et suit » sont exécutés à merveille par les joueurs de l’effectif qui ne se déconnectent jamais du jeu. Tous savent prendre leurs responsabilités. D’autant plus que le FCN ne se contente pas d’attendre tout le temps son adversaire en bloc médian. Ce collectif est aussi capable d’aller « chasser haut » et de mettre la pression aux relanceurs adverses.

(Pedros et Kosecki entament un pressing sur les deux défenseurs centraux portugais, alors qu’ils sont couverts par Cauet juste derrière eux.)

(La passe côté du défenseur de Porto permet aux autres milieux de terrain d’accompagner leur première ligne. Ils cherchent à cadrer les joueurs de Porto et notamment à les empêcher de rentrer intérieur balle au pied.)

(Par ce biais, ils obligent les Portugais à réaliser une passe négative vers l’arrière, qui s’avère en plus déficiente sur le plan technique. Pedros tente d’en profiter pour subtiliser le ballon. C’est une grosse occasion qui se présente.)

L’énorme volume de courses des milieux  habituels comme Makélélé, Karembeu, Cauet et d’autres leur permet sur un sprint de partir de l’axe droit ou l’axe gauche pour aller chercher le latéral adverse dans son camp. Celui-ci est très souvent surpris et poussé à l’erreur technique.

Parfois, le regard anachronique d’un téléspectateur de 2018 pourrait presque assimiler certaines séquences défensives nantaises à une ébauche du « contre-pressing » cher à Jurgen Klopp et à l’école allemande des entraîneurs. En effet, lorsque Nantes est présent avec beaucoup de joueurs dans les 40 mètres adverses, il n’est pas rare de voir sous nos yeux les 3 séquences qui rappellent ce fameux « gegenpressing » : premier pressing pour récupérer le ballon chez l’adversaire, réalisation à la récupération d’un circuit en 1 touche très risqué et qui amène souvent une récupération de l’opposant,  puis enfin nouveau pressing immédiat des Nantais autour de l’adversaire qui pensait justement pouvoir partir en contre-attaque. Contrer la contre-attaque et s’ouvrir ainsi d’immenses espaces est aussi une spécialité du bloc défensif nantais. Coco Suaudeau semble donner quelques graines pour concrétiser cette observation : « Il nous arrivait dans les attaques dites « placées » aujourd’hui, de donner délibérément le ballon à l’adversaire, sans qu’il s’en rende compte, mais sur un joueur ou une zone bien précise du terrain, en faisant en sorte que le contrôle ne soit pas évident à réaliser… Et là, signal, on se jetait dessus… »

CONCLUSION

Le Paris Saint Germain d’aujourd’hui qui court après tous les records pour devenir la référence footballistique française a encore du chemin à faire. Le club parisien n’a pas réussi à aller aussi loin que leurs amis bretons en Ligue des Champions, puisque ils n’ont pas encore atteint le dernier carré. D’autre part, sur une stricte saison complète, personne n’a encore réussit à rester 32 matchs invaincu. Ainsi, au-delà de ces légendes matérialisées à travers des chiffres, le FC Nantes de Jean Claude Suaudeau c’est d’abord un style, un idéal de jeu qui correspond à son coach et à ceux qui l’ont précédé. Cette identité c’est d’abord un football fait de vitesse, de prise de risque, de simplicité, où la technique individuelle est au service du collectif. En bref, un football courageux et intelligent. Mais à l’image de la classe d’un Raynald Pedros probablement passé à côté d’une immense carrière, l’animation de cette équipe reste méconnue pour le grand public. Et Jean Claude Suaudeau se fatigue vite : « chaque fois, la réussite nous faisait mal. Dès qu’on obtenait de bons résultats, des joueurs partaient. (…) J’ai fini par en être désabusé. Alors j’ai arrêté. »  Aurait-il seulement pu faire pérenniser ses idées dans une autre ville ? Dans ce club, alors si original dans le paysage hexagonal, son départ en 1997 ne signe pas la fin de la fête. Car Coco a préparé son héritage. Raynald Denoueix, à l’époque à la tête de la formation, prend à son tour les rennes de l’équipe fanion. Et il  réserve encore aux supporters de très belles émotions ! Finalement, c’est peut-être Thibaud Leplat, dans son œuvre Football à la Française, qui décrit peut-être le mieux ce que représente le FC Nantes de cette époque : « Nantes est le nom en France que l’on a donné à une nostalgie profonde pour le temps où le football n’appartenait pas encore aux sociétés mondialisées, où les joueurs étaient pour majorité formés au club (…) et pratiquaient un football privilégiant le plaisir et la morale à l’argent et la réussite à court terme (…) Nantes est une nostalgie du temps présent. »

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